21 mai 2024

Les mondes assujettis

Claude Péloquin, Les mondes assujettis, Montréal, Collection métropolitaine, 1965, 74 p. (4 illustrations de Denis Connoloy) 

Trois recueils en trois ans!

La dose de surréalisme a augmenté d’un à l’autre, ce qui rend ce recueil plutôt rébarbatif pour qui veut en retirer un fil thématique ou même des motifs récurrents. En d’autres mots, on a l’impression que la plupart des poèmes ont été improvisés et très peu retouchés, que l’écriture automatique et la recherche de l’enchaînement insolite doivent décontenancer le lecteur.

Rien de lourd pour autant, les poèmes sont courts, fantaisistes, en d’autres mots Pelo pratique un surréalisme ludique, sans doute jouissif, à la manière des dadaïstes, mais aussi de Chagall, Pellan. On a même l’impression de lire de l’exploréen à quelques reprises.

 

ORCHESTRE AFGHAN

Cétar yé ya   Daïra Delroba
Dans l’Harmonia Ritchak
Robab Sorang Santour de Tabla
Tanbour tant que tu pourras
[…]


Péloquin essayait de trouver une place entre les poètes du pays, ceux de Parti-Pris et les surréalistes. Pas facile. De Claude Gauvreau, il disait : « C'est un poète plutôt mystique (vie intérieure). Je ne vais pas dans le même sens que lui. Son langage est automatique. Mais il faut d'abord faire le voyage avec des symboles. Il faut d'abord les délimiter dans ses pensées, les « voir » ils existent en d'autres dimensions (visuelle par ex.). Je crois à la technologie plus qu'à l'automatisme. La poésie doit être mathématique, déductive. » (Entrevue donnée à Chamberland) Disons que je ne vois pas très bien la dimension mathématique dans les deux poèmes qui suivent.


À TOMBOUCTOU

Il habitait la cabane en torchis
Qu’il avait gagnée
Sur la route de Tombouctou
Au cirque de Pluton
Ses fils
Les pierres
Collectionnaient avec agilité
Depuis un soleil
Des spectres
D’alligators mythiques


POÈME EN MI
Il suffit
De la moitié
D’une femme
Pour prendre
L’avion
Avec
Une
Machine à coudre
En bleu…


Claude Péloquin sur Laurentiana

Jericho

Manifeste infra

Les essais rouges

Les mondes assujettis

17 mai 2024

Les essais rouges

Claude Péloquin, Les essais rouges, Longueuil, Publication Alouette, 1964, 70 p. (Couverture : Guy Lalumiere, Jean-Louis Lamarche)

Le recueil est dédié à Pellan alors que Jéricho l’était à Henri Bosco. Que s’est-il passé en l’espace d’un an pour que la poésie de Péloquin connaisse une telle évolution? Chose sûre, le surréalisme a pris une grande place sur sa table de travail. Et toute trace de lyrisme est disparue.


Péloquin nous avertit, dans une note préliminaire, qu’il ne faut pas pousser trop loin l’investigation : « Il n’y a rien dans cet ouvrage / Qui puisse intéresser, / Il en appelle simplement / À un certain pouvoir d’émerveillement / Et ce à partir de l’oubli… »


S’il est vrai que certains poèmes sont éclatés (le plaisir de faire danser les mots en tous sens) et d’autres construits en partie à partir d’allitérations ou d’assonances, on en trouve quand même qui ont une cohérence sémantique.


Voici cinq motifs que je retiens :

Une attention à l’environnement. Étonnamment, les images liées à la nature sont fréquentes dans le recueil. « Le semeur refait son chant d’un sillon / Avant de remettre les étoiles à leur nuit ». Tout dans la nature est mystère, comme si ce que nous communiquent nos sens n’était que l’antichambre d’un monde supra-sensoriel. « La grande Fresque naît sous le biseau du Voilé ».

Une réflexion sur les « magistrales chevauchées » de la poésie, laquelle implique un voyage dans les « sphères du supra-sensoriel », cher à la contre-culture (le mot n’existe pas en 1964). Il faut accéder au monde de l’Ailleurs, dont « on ne revient jamais tout à fait » : « Seul l’émoi transporte sur les cratères de l’Impossibilité »; « J’ai mis bas la fantasmagorie »; « Je porterai ma face blème / Fière de l’écume des bêtes célestes / Frappées des étoiles sont les nuits / Effleurées de joues creuses / Hippocampes sur la piste des galaxies / Flaques d’îles tout au long / Perpétuel miracle de la rosée à son herbe »; « Le Songe… ce beau Doute après l’Appel / Ce beau Risque au hasard de l’arrière-chose ». L’abondance des majuscules donnent à penser que les mots sont plus que des mots, qu’ils recouvrent des référents qui nous échappent. Un peu comme les portes d’un monde ésotérique.

Une critique de la vie raisonnable : « Vivre comme un papillon porte une rançon / Soit celle de sentir se consumer en soi / L’instinct légué par les bêtes »; Ou : « Blême un peu plus ce matin / Celui qui ne fut pas fasciné hier »; « J’assiste les mesquins que je pends sans sépulture // Ces mi-mort mi-souffle de deux heures au vent repu / Ces entre-riens où c’est l’Absence même que l’on tient / Souffrant de jouer à être à la mi-temps de l’existentiel ».

Un certain mal-être : « Un mal de poitrines creuses / Remplies d’araignées en rut / Un mal de toutes les gares / Un mal au sang d’être rouge / Marasme de limace tout autour / Ai mal au froid même d’une neige / Qui se meurt goutte-à-goutte / Mal d’un mal qui s’apprend / Mal dont on fend ».

Le thème érotique-amoureux (voir l’extrait).


Péloquin n’a pas laissé une grande trace littéraire, si je me fie aux spécialistes de L’histoire de la littérature québécoise (Biron et all.) qui n’ont même pas mentionné son nom. On peut certes dire qu’il est un précurseur d’une certaine contre-culture.

Pour en savoir plus sur l’importance de Péloquin : André G. Bourassa, Surréalisme et Littérature québécoise, Montréal, L’Étincelle, 1977. Pour un aperçu de sa démarche, lire l’entrevue qu’il a donnée à Chamberland en 1966 (Parti-pris, avril 1966, p. 38-45).

 

LA RESPECTUEUSE

Il y avait le pastis de ses hanches pleines

Qu’on a cent fois redit

Bien plus souvent que la pluie

Et le creuset des ans

J’ai navigué dans ce cou

Me suis fait marin sur sa main

Tatouage mauve à son sein

Complice d’un jeu étrange

Qui recouchait le soleil

Pour une fois encore avant le jour


Claude Péloquin sur Laurentiana

Jericho

Manifeste infra

Les essais rouges

Les mondes assujettis (à venir)

12 mai 2024

Manifeste infra

Claude Péloquin, Manifeste infra suivi de Émissions parallèles, Montréal, L’Hexagone, 1974, 77 p. (1ère parution : 1967)

Péloquin, qui faisait partie d’un groupe, les Zirmates (Groupe de recherche « dans l’expression de l’insolite »), a produit un premier manifeste en 1965 : Manifeste subsiste. En 1967, dans Manifeste infra, il reprend de façon plus détaillée les idées qui y étaient en partie exprimées.

En voici deux extraits :

Situation…

Fondé sur une recherche de l’Autre-Réalité dans l’Arrière-Réel par un Possible absolu.

Mouvement de pénétration d’un Ailleurs dans l’Homme cosmique, à partir du réel continuellement remis en question ; l’évolution de ce mouvement s’opère à partir des Dessous et de zones infiniment profondes et voilées dans une réalité prise sous ses deux formes d’existence : (ailleurs et ici).

À partir aussi des Dessous des sciences psi et para, du cosmos, du réel, de la magique et de l’Éveil...

À partir des Dessous dans les fibres mêmes de ce qui est et de ce qui est latent : donc, qui sera aussi, et beaucoup plus miraculeusement, parce que possibilisé à l’avance par l’existence même de la Recherche.

Note : Jamais rien n’est tout à fait ce que l’on a pu délimiter erronément comme étant définitif.

Mouvement de la possibilisation d’une sorte d’humanisme, ou encore d’une zone encore inconnue de la sensibilité de la matière.

INFRA exige l’expérimentation à tout prix sur tout ce qui est et sur tout ce qui n’est pas tout à fait encore ; il exige un règne de la recherche.

Mouvement prônant la recherche dans les dessous du réel et dans ses arrières. Pénétrer le réel et passer dessous, au travers ; ce dernier étant mis à nu par un processus d’isolement de ses composants, qui permet de comprendre et ainsi de pressurer de plus en plus l’inconnu. Le réel, (homme et univers) étant expérimenté suivant la dose de connaissances mise en chacun et étant considéré comme le seul tremplin qui permettra à l’homme libre de sauter dans ses ailleurs cosmiques et psychiques pour en vivre… (p. 11)

 

La poétique Infra

...Que l’on n’associe pas la poésie au vouloir sensationnaliste du “poète” en transe, victime de systèmes politiques désuets. Voilà pourquoi, ceux-là mêmes qui œuvrent ici à la révolution, (Parti Pris par exemple) et tous ces écrivains qui confondent poésie avec journalisme de combat, n’en sont qu’au lyrisme quand ils « poétisent ». Leur emphatisme, leurs malheurs et leur symbolisme facile, sont capables de troubler des couventines arriérées. L’engagement du poète n’est pas là où ils l’ont bien voulu. Péret a dénoncé déjà ces poètes de l’honneur poétique.

L’engagement du poète est dans la recherche de zones intimes et toujours déchiffrables, tant dans l’homme qu’en ses univers. La politique, les sentiments de joie, et la souffrance du mal adapté-réformateur, ainsi que la nostalgie, l’amour et les petits oiseaux ne suffisent plus pour faire des poèmes. Que l’on défende la plume à tous ces auteurs dont la seule force est le dérèglement, le faux titre de poète et un regard de taupe sur le réel.

— Ceux qui oseraient se croire dans l’impunité sont les plus vils.

— INFRA dit plume, mais il inclut dans ce moyen toutes les autres disciplines.

— INFRA demande l’exil immédiat de tous ceux dont les œuvres ne dégagent rien d’insolite ou de fantastique. La véritable fonction sociale du poète ou de l’artiste-technicien, est de n’en avoir aucune. Une poésie, une œuvre faussée ou l’expression problématique, lourdes de romantisme, de complexes religieux et politiques, retardent l’avènement de la liberté. La poésie et l’expression véritables, sont axées sur leur pouvoir de libération de l’homme dans son esprit ; et ce, en ne se servant pas de points de repère qui ne sont pas de leur ressort, comme la politique, l’hermétisme, l’amour, la belle nature et les sentiments malaxés dans tous les sens.

Il faut sortir le poète du faux rôle social où on l’a plongé, pour lui donner une dimension et une densité nouvelles, qui sont celles de la recherche technique et physiologique. INFRA peut parler maintenant ouvertement de recherche. “Refus Global” de Borduas devait se dégager du calcaire. Pour nous, un laboratoire, c’est vrai ; eux n’avaient pas le temps de le voir.

— Le chercheur en art se doit de devenir l’ouvrier des Dessous du cosmos, et ce, dans toutes ses formes. Les pouvoirs anticipatifs du chercheur véritable en font un autre technicien. Tout le reste est de l’ordre du roman et de l’art divertissant.

Les mystères de la poétique sont à mettre à jour, exigeant d’autres pouvoirs de perception par la profondeur poétique ; ces mystères ne se doivent absolument plus d’être insaisissables. (p. 26-27)


 


10 mai 2024

Jéricho

Claude Péloquin, Jéricho, Montréal, Alouette, 1963, 28 p.

Claude Péloquin (1942-2018) est surtout connu du grand public comme auteur des paroles de « Lindberg » de Robert Charlebois et du petit poème sur la murale de Jordi-Bonnet au Grand Théâtre de Québec : « Vous êtes pas écœurés / De mourir / Bande de caves. / C’est assez! » Il a aussi (et surtout) publié plusieurs recueils de poésie. Jéricho a été imprimé sur les Presses sociales de Michel Chartrand. 

Péloquin est une figure de la contre-culture. Rien de tel ne paraît dans Jéricho, son premier recueil dédié… à Henri Bosco. 

Dès les premiers poèmes, on remarque la difficulté du poète à s’arrimer au monde qui l’entoure : « Il est pesant d’ouvrir les yeux / Sur ces mondes qui s’affaissent ». Ce n’est pas qu’il ait renoncé, mais plutôt que tout finit par lui échapper : « Parti en mal d’aimer / S’est cassé en deux pour battre ses sentiers et de lune / Mais les grands vents l’ont mordu / Au tournant des villes / Alors est reparti en mal de mer / Pauvre comme riche / Nu comme taudis ». Comme si, en dehors de l’enfance, de la nature ou des clochards de New York, iI n’arrivait pas à communier avec la réalité sociale dans laquelle il baigne. Ici se situe l’image du mur de Jéricho, du mur impossible à franchir : « L’écho de Jéricho / A sombré au large des sourds / L’armée des bouffis s’est assise / Farandole de gavés en soi / Qui sèche à la lune / Sans horizon que le ventre / Les cul-de-sac bedonnants / Ont mis trompettes en fuite/ me jetant comme aumône ». En d’autres mots, un monde dans lequel il ne se reconnaît pas, un monde qui n’est pas pour lui.

Le recueil contient une seconde partie intitulée « Pour hommes et bêtes » où la poésie se transforme en contes poétiques. Péloquin met en scène les enfants, des vagabonds, un vieillard qui vit avec son chien, la nature, bref tout un monde rêvé qui échappe au réel, bref sous une forme différente, ce qu’on a déjà lu dans la première partie.