9 novembre 2008

Le Coffret de Crusoe

Louis Dantin, Le Coffret de Crusoe, Montréal, Albert Lévesque, 1932, 174 pages.

En épigraphe, Louis Dantin présente un passage, soi-disant inédit, du journal de Robinson Crusoé. Les poèmes de ce recueil ne seraient que des écrits de jeunesse de Crusoé-Dantin. Bien entendu, c’est un vieux procédé littéraire, une façon d’établir une distance entre l’auteur et son œuvre. Pourquoi Crusoé? Probablement parce que l’auteur a beaucoup souffert de solitude. On sait qu’il est un prêtre défroqué, qui a traversé une longue crise religieuse, qui a vécu une relation amoureuse avec une Noire aux États-Unis, ce qui le marginalisait dans la société de l’époque. Chacune des six parties de son recueil se présente comme une chanson.

Chanson grave
Elle vogue sur un air bien connu, cette chanson grave. La dualité entre la beauté et la laideur, le bien et le mal est l’enjeu des premiers poèmes. L’art permet de sublimer le mal : « Rien n’est souffrant ou vil qu’un idéal élève / Et qui n'ait son reflet dans le prisme du Beau ». Puis on glisse vers un poème plus « exotique » (Mosaïque ancienne) et on termine par deux poèmes presque patriotiques, l’un dédié à Québec et l’autre à Champlain.

Chanson mystique
C’est un long poème narratif. Le Seigneur Guido, comte d’Ystel, pour sauver son épouse Berthe, déjà sur son lit de mort, passe un pacte avec le diable. Pour que le miracle ait lieu, il doit voler une hostie et la profaner, ce qu’il fait sous l’œil réjoui des démons. Sa femme, ayant deviné son forfait, refuse son aide. Pour combler le vœu de sa femme et racheter son âme, il doit retrouver toutes les parcelles dispersées de l’hostie que le vent a balayées. Il se soumet à cette punition. Il perd toutes ses richesses, toute sa dignité. Au bout de vingt ans, devant son sincère repentir, Dieu intervient et l’hostie se reforme miraculeusement.

Chanson plaintive
Cette partie comprend deux poèmes narratifs.

La complainte du cœur noyé
Un jeune homme, promis à Dieu dès sa naissance, devient prêtre. Il s’ennuie. Un jour passe une jolie fille qu’il veut suivre. Le prieur et ses parents interviennent et jettent son cœur à la mer. Il lui faudra 40 ans pour le retrouver. Bien sûr, la jeune fille, devenue épouse et mère, l’a oublié depuis longtemps. Faut-il y lire le drame personnel de Dantin ?

La triste histoire de Li-Hung Fong
Histoire touchante d’un Chinois, perdu à Beauharnois, blanchisseur de son métier. Un jour, Olga, une Russe, arrive au village. Les deux vont sympathiser et tomber amoureux, même s’ils ne peuvent échanger un mot. Le soir de Noël, tout le monde, et même Olga – se rendent à l’église. Comme Li-Hung se retrouve seul, par curiosité il décide d’y aller aussi. Il s’assoit en arrière. Là, tout l’émerveille et il ne se rend pas compte que tout le monde le regarde, interloqué. Comme l’office est perturbé, le bedeau lui demande de sortir, ce qu’il fait. Seul dans la nuit, blessé, il décide de quitter le village sur le champ. La tempête se lève, il se perd et meurt. Olga, après avoir séché ses pleurs, épouse un fermier du coin qui l’exploite.

Chanson folâtre
Le lien qui unit les poèmes ce cette partie, c’est la fantaisie. Les motifs vont de la guerre (celles de Cuba et des Boers auxquelles il s’oppose) à l’amour en passant par les oiseaux, et... Jean-Jacques Rousseau... On découvre un auteur qui a de l’humour, qui est capable de sarcasme, le tout enveloppé de finesse.

Chanson nomade
Dantin décrit le désert de Gobi et, à la toute fin, il annonce que son poème doit être lu comme un poème symboliste. Bon prince, il nous explique chacun des symboles. « Ah! mais vous' n'm'avez pas compris! / Ou p't'êr' vous croyez que j'faribole? / Tout ça, c'est des symboles, / Et j'en grimaç' plus que j'n'en ris » Le désert représente la « solitude de son cœur », les grains de sable ne sont que ses pensées et ses rêves...

Chanson intime
La plupart des poèmes traitent des relations amoureuses. « Ah! mon cœur est un gouffre insondable et béant / Où le Désir écume et bout comme une braise » Il « explore » différents types d’amour : le passionné, le tendre, le platonique, l’éphémère... Il se débat entre sa recherche d’un idéal (religieux) et l’amour charnel. La femme l’attire, mais il est empêtré dans ses schèmes religieux. « La Pensée est chimère et l'Amour est mensonge; / La Beauté cache un piège et la mort est au fond; / La Femme est l'inviteuse impure du démon: / Ah! vienne le Néant où tout l'être se plonge! » Malgré ces deux derniers vers, il ne faudrait pas conclure qu’il est misogyne; au contraire, c’est un homme qui n’a jamais cessé de chercher la femme, de chercher comment il pourrait l’aimer sans renier ses idéaux.

Que dire d’un tel poète? Dantin est un auteur qui a du métier (il était un critique littéraire très respecté). Tout en adoptant la versification classique, il sait varier le ton, il utilise différentes formes littéraires, différents procédés, différents niveaux de langage. Le ton peut être très sérieux, puis très fantaisiste. On découvre un esprit fin, un homme à l’esprit ouvert (le monde n’est pas seulement peuplé de Canadiens français) qui ne craint pas de dévier des sentiers de son époque. La contrepartie de cette virtuosité, qu’on peut saluer, c’est qu’il n’y a pas un fil, qu’il n’y a pas un concept unificateur dans ce recueil. Par ailleurs, quand l’intellectuel prend le pas sur le poète, cela nous donne des poèmes un peu trop plats. Quant à moi, il excelle dans les longs poèmes narratifs, car il est meilleur conteur que poète. ***½

Lire le recueil. Je vous conseille « La triste histoire de Li-Hung Fong », dont voici un extrait.

Extrait
Moi qui vous parl', dans Beauharnois
J'ai connu jadis un Chinois
Aux veux bridés, à la faç' blême,
Ayant r'çu' quoiqu' pas au baptême,
L'nom euphoniqu' de Li-Hung-Fong;
Comm' de just' faisant l'métier qu'font
Tous ses confrèr's en savonnage,
Mais encor dans son tout jeune âge,
P't êtr' vingt-deux ans: c'qu'est très curieux,
Car les Chinois sont toujours vieux.
Il formait, dans c'village agreste,
Tout' la population Céleste,
Spectacle d'un peuple ébahi,
Toléré, n'aimé ni haï,
Mais, en qualité d'créature
A part dans l'oeuvr' de la nature,
Tenu à l'écart des humains.
On v'nait seul'ment entre ses mains,
Sans même l'honorer d'une grimace,
A jour fix' déposer sa crasse.
Il rendait l'plastron l'plus foncé
Blanc comm' neig', luisant et glacé;
Du rest', n'faisant rien pour déplaire,
Et s'mêlant d'ses uniqu's affaires.

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