14 novembre 2009

Un peu d’angoisse… un peu de fièvre

Eva Senécal, Un peu d’angoisse… un peu de fièvre, Montréal, La Patrie, 1927, 71 pages.

Éva Senécal n’a écrit que deux recueils. Un peu d’angoisse… un peu de fièvre est son premier. Elle n’avait que 22 ans lorsqu’il fut publié. Son second recueil, La Course dans l'aurore (1929), va lui mériter le prix David. Elle a aussi publié deux romans qui vont déclencher un petit scandale dans les années 1930. La bibliothèque de Sherbrooke porte son nom. Françoise Hamel-Beaudoin a écrit sa biographie : La Vie d’Éva Senécal.

Un peu d’angoisse… un peu de fièvre contient quatre parties. Le recueil nous communique l’image d’une jeune fille dont la vie semble assez étriquée. Une jeune fille sans joie.

Les deux premières parties du recueil, « Au rythme de l’heure » et « Un peu d’angoisse » sont très sombres. Un sentiment de tristesse, douloureux, les traverse, même si quelques scènes pastorales mettent un peu de baume au cœur. « La lune, ce soir, dans le ciel chemine. / Elle rit, gamine, / Et ses bons yeux d’astre ont des reflets bleus ». La nature, c’est l’amie qui réconforte : « ma souffrance dort dans l’ombre de la nuit ». Le sentiment de la nature déborde sur la traditionnelle opposition entre la ville et la campagne : « Vous aurez beau vanter vos fêtes, / Vos villes, leurs plaisirs, leurs chants, / L’émoi troublant de vos conquêtes, / J’aime mieux la paix de mes champs. »

La maladie et la mort (l’auteure a souffert de tuberculose) sont omniprésentes : « Moi j'ai cherché pourquoi toutes nos espérances / Ne font germer au cœur que moisson de souffrance; / Pourquoi je suis ainsi sans espoir à vingt ans / Et ne reverrai plus sans doute le printemps. / Mais la vie a gardé pour elle son mystère. / J'ai demandé en vain aux êtres de la terre / De dissiper mon doute et d'appuyer ma foi » Ou encore : « Pendant ses longues nuits, une vision sombre, / Dans ses rêves passait comme une lointaine ombre. / C'était un blanc fantôme avec des yeux éteints / Qui semblait dire: "Enfant, dans le vieux cimetière / Bientôt tu dormiras sous le froid de la terre: / Tes rêves, ta révolte et tes espoirs sont vains". »

Tout est empêchement chez elle : « Lorsque je rêverais de parcourir le monde, / De m’enivrer d’espaces, errante et vagabonde, / Quand palpitent en moi des désirs d’inconnu, / Pourquoi se brise donc mon beau rêve ingénu?... » Ou encore : « Mon pauvre cœur s’est égaré, / Tout effacé, / Dans l’enclos de la Solitude. » L’amour et la sexualité, entre autres, la tétanisent, comme en font foi ces quelques vers du poème « J’ai peur » : « J'ai peur des menteuses promesses / Qu'on nous répète chaque jour; / Des voluptueuses caresses, / Servile rançon de l'amour.// […] J'ai peur des humaines faiblesses / Des langoureux enivrements ».

La troisième partie du recueil, « Un peu de fièvre » est plus réconfortante. La nature devient davantage caressante : « Des baisers troublants / Qu’apporte la brise / La caresse grise / Nos cœurs frémissants. » Les promesses de l’amour semblent une bouée de sauvetage : « Que m'importe aujourd'hui douleur, ennui, tristesse / Et tout ce qui nous fait le cœur lourd, soucieux! / Qu'importe qu'on m'oublie et que l'on me délaisse / Que l'abandon m'entraîne en sa morne détresse / Puisque j'ai vu vos yeux. » Mais quand toute l’expérience amoureuse tient dans un échange de regard…

Bonheur éphémère de l’amour, qui semble davantage rêvé que vécu, si on se fie à la quatrième partie du recueil intitulée « Nostalgies » : « Parmi tout ce monde, en partant, / Moi je ne vous vis qu’un instant ». Le poème dont sont extraits ces deux vers emprunte son exergue à Claude-Maurice Robert : « Peureux devant l’amour qui me tendait la main / J’ai détourné la tête et passé mon chemin. » De l’amour déçu, on glisse vers le plus désespérant désenchantement : « Je suis lasse de croire aux regards, à leurs charmes, / Semant des rêves blonds, des espoirs adorés; […] // Lasse de regarder le monde se griser / De fêtes, de plaisirs, desquels rien, rien ne reste. »

VOS YEUX
J'avais le cœur rempli d'amère solitude
Traînant un morne ennui, lourdement en tous lieux
Mes vingt ans étaient faits de trop de lassitude
J'étais seule toujours parmi la multitude
N'ayant pas vu vos yeux.

Je souffrais de n'avoir personne pour m'entendre
De sentir mon cœur lourd quand tous étaient joyeux
Lorsqu'on parlait d'amour, je croyais bien comprendre
Mais ce n'était qu'un leurre et ce n'était qu'attendre
N'ayant pas vu vos yeux.

Un jour, ce fut divin!... je vous vis sur ma route
Et tout mon cœur ardent battit, mystérieux.
J'avais l'âme ravie, étonnée, en déroute...
Je ne sus même pas qu'elle se donnait toute
Au regard de vos yeux.

Que m'importe aujourd'hui douleur, ennui, tristesse
Et tout ce qui nous fait le cœur lourd, soucieux!
Qu'importe qu'on m'oublie et que l'on me délaisse
Que l'abandon m'entraîne en sa morne détresse
Puisque j'ai vu vos yeux.

Lire un autre poème de Senécal sur le blogue de Lali.

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