6 décembre 2012

L'Homme à la physionomie macabre

Moïsette Olier, L'Homme à la physionomie macabre, Montréal, Édouard Garand, 1927, 154 pages.

« Shawinigan est la Ville Lumière de la province… mais lumière artificielle seulement. » (p. 63)

Paule-Émile, la jeune fille du riche docteur Boisjoli, mène une existence tranquille dans le domaine familial. Existence dont elle déplore l’insignifiance. Un jour arrive le neveu du meilleur ami de son père, Antoine Bernard. C’est un original dont la tenue (barbe et cheveux longs,  vêtements négligés, manières déroutantes…) détonne dans le petit monde bourgeois de la jeune fille. Ses amis s’en moquent ouvertement. Il se présente comme un journaliste venu étudier la vie ouvrière. Le docteur Boisjoli demande à sa fille de s’en occuper pendant son séjour. Elle découvre sous l’habit assez « macabre » un jeune homme intelligent et sensible. Les deux développent un sentiment amoureux. Survient un coup de théâtre : si Antoine Normand s’est présenté à ses hôtes sous un jour aussi peu favorable, c’est qu’il voulait convaincre un de ses amis que l’amour vrai, qui va au-delà des apparences, est encore possible. En somme, sous de fausses représentations, il a réussi à séduire la jeune fille. Celle-ci lui pardonne bien facilement son manège, il me semble.

Vous l’aurez compris, l’intrigue est banale. À mes yeux, ce roman présente quand même un double intérêt. Premièrement, il nous offre un aperçu de la mentalité de l’époque. On y parle des dangers de la danse, de la condition des jeunes filles,  du travail des ouvriers le dimanche, de la nécessité d'une action sociale pour soutenir l’esprit nationaliste et de l’américanisation de la jeunesse, seul thème qui est un soi tant peu développé.  « Pourquoi ne luttez-vous pas contre les tendances d'émancipation chez les jeunes de votre société? Pourquoi ne réagissez-vous pas contre les mœurs américaines qui envahissent nos centres et tendent à faire de nos âmes des âmes matérialistes et païennes? Pourquoi ne seriez-vous pas dans votre rayon, l'apôtre de notre mentalité canadienne-française et canadienne-catholique, sans alliage, sans abdications, sans atteintes, intègre et fière? » (p. 59-60) On y cite le père Lalande, Édouard Montpetit, Henri Bourassa, Mgr Adolphe Paquet… 

Deuxièmement, on nous offre une certaine vue de la vie à Shawinigan dans les années 1920. On décrit un peu les lieux (voir les extraits), on mentionne plusieurs noms qui faisaient partie de la vie locale ou régionale : l’abbé Émile Cloutier curé de Saint-Pierre, l’avocat Auguste Désilets de Grand-Mère, l’avocat Louis D. Durand de Trois-Rivières, l’industriel Hubert Biermans, le sénateur Jacques Bureau, Médéric Martin ??, le docteur Dufresne, le docteur Normand. 

Extrait 1
Les Boisjoli ont nommé leur domaine Boisjoli-les-Chûtes. En voici une description.

« La compagnie, dont le docteur Boisjoli était l'un des plus puissants actionnaires, lui avait cédé le terrain qui s'étend entre les Chûtes. Alors, sur le pittoresque plateau qui domine les deux abîmes, il s'était fait construire une superbe et vaste résidence que ni la pluie des automnes ni les rafales de l'hiver, ne lui faisaient déserter. D'architecture espagnole et toute blanche sous son toit de tuiles rouges, l'été, la maison semblait un morceau de lumière sur sa colline verdoyante, et l'hiver, sur son mont blanc, une accueillante et hospitalière retraite. Le bel immeuble avait son solarium, ses jardins d'hiver, d'immenses porches et vérandas qui facilitaient agréablement la jouissance des poétiques entours et des jolis horizons. Sans enlever tout à fait son cachet un peu sauvage au terrain, de petites terrasses s'étageaient depuis la falaise jusqu'à la maison. A travers les frissons des jeunes peupliers, des charmilles, des groupes de chaises rustiques et des hamacs savamment disséminés, étaient autant d'invitations aux reposantes nonchalances. » (p. 11-12)

Extrait 2
« La nature a été très prodigue pour ses enfants de Shawinigan. Non seulement vous avez vos belles Chûtes, mais encore ces riantes montagnes qui festonnent si joliment l'horizon et le St-Maurice qui promène autour de la ville, les méandres étincelants de sa moire argentée. Il y a aussi beaucoup de charme dans tout cet imprévu suscité par les caprices du sol, joyeux coteaux, profonds ravins, plis de montagnes où se dérobent des paroisses entières, tandis que d'autres s'épanouissent fièrement sur les plus hauts sommets. Oui vraiment, votre ville est fort pittoresque et vos usines si puissantes pourtant, ont eu le goût rare de ne pas gâter le tableau. » (p. 149-150)

Pour tout savoir sur la petite histoire de Shawinigan : Le Carnet du flâneur
Sur Moisette Olier  
Étincelles sur le Carnet du flâneur

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