26 février 2007

La maison condamnée


Le thème de la «maison condamnée» est fréquent chez les auteurs du terroir. Cette maison désertée, c'est celle des ancêtres. Elle rappelle une douloureuse défection face à l'imposant devoir de survivance. Ici, nous présentons des poèmes. On peut lire aussi sur le sujet « La maison condamnée » d'Adjutor Rivard, maître en matière de «vieilles choses».

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Georges Bouchard (1888-1956) est né à Saint-Philippe-de-Néri. Il sera agronome, professeur, journaliste et député. Sans être celui d'un grand écrivain, son recueil Vieilles choses, vieilles gens, magnifiquement illustré par Holgate, a connu beaucoup de succès.
 LA MAISON CONDAMNÉE (extrait)
Pouvons-nous arriver à la ferme sans jeter un regard de commisération sur la silhouette morne, presque honteuse, de la maison abandonnée, qui, dans le langage pittoresque de nos campagnards, est devenue la maison condamnée !

Maison condamnée, en effet, à expier la désertion de ses habitants par un deuil profond, par un air dépenaillé, signe d'une grande affliction.

Maison condamnée à subir sans défense les morsures du froid, les injures du temps et des gens.

Maison condamnée à ne plus offrir de sourires d'enfants, ni de grâces féminines à travers ses fenêtres maintenant voilées de vieilles planches irrégulières.

Maison condamnée à ne plus être comme autrefois une grâce vivante qui attire, mais une ruine hideuse qui repousse.

Maison condamnée à être un objet de frayeur pour les passants à cause des êtres imaginaires qu'on lui prête et qui font dire hantée.

Maison condamnée souvent à servir de refuge aux chemineaux, aux nomades, aux sans-patrie, comme pour rendre encore plus cruel le souvenir des disparus qui errent peut-être à l'aventure dans un pays étranger

Maison condamnée à publier les .défaites, les défaillances, ou les abandons envers la race, comme à montrer les trouées dans les forteresses réputées inexpugnables de nos foyers ruraux. Ceux qui partent cessent trop souvent de rester nôtres !

Maison condamnée à afficher la dégénérescence des fils qui n'ont pas su maintenir les positions conquises par leurs devanciers, qui n'ont pas su cultiver là où leurs pères ont su défricher.

(Vieilles choses, vieilles gens, Montréal, Granger frères, 1943, p. 79-80. - 1re édition : 1926.)
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Albert Lozeau (1878-1924) n'est pas un poète du terroir, mais un poète intimiste. Atteint de paraplégie, il observa le monde à partir de la fenêtre de sa chambre. Autodidacte, il participa de loin à L'École littéraire de Montréal. Il écrivit une série de Billets pour les journaux, mais surtout trois recueils de poésie : L'Âme Solitaire (1907), Le Miroir des Jours (1912), Lauriers et Feuilles d'Érable (1916). Le poème ci-dessous n'est pas représentatif de son œuvre, mais s'inscrit bien dans le thème de la «maison abandonnée».
 LA MAISON DU PASSÉ
Bienheureux qui possède encor l'humble maison 
Construite par l'aïeul, en bonne pierre grise, 
Dans les arbres, au bord de l'eau, près de l'église, 
Qui contente à la fois son cœur et sa raison!

Heureux qui de son seuil voit passer la saison, 
Qui s'assied où sa mère autrefois s'est assis., 
Qui dort dans le vieux lit de son père, à sa guise, 
Qui garde la coutume et l'ancienne façon!

Sous le toit paternel le souvenir habite. 
L'âme des parents morts dans les chambres palpite, 
Des générations y viennent s'émouvoir;

Le cortège infini des ancêtres défile 
En silence, de pièce en pièce, chaque soir... 
- Il n'est point de passé dans les maisons de ville.

(Poésies complètes, t. 3 : Les Images du pays, précédées des Lauriers et feuilles d'érable, Montréal, s. n., 1926, p. 195)

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Alphonse Beauregard (1881-1924) est né à La Patrie et décédé accidentellement en 1924. Il a dû abandonner ses études et pratiquer différents métiers. Il a participé à la revue Le Terroir et fut membre de l'École littéraire des Montréal. Il a publié Les Forces (1912) et Les Alternances (1921).

MAISON ABANDONNÉE

Audacieusement sise à cette hauteur, 
Cette maison proprette et d'une vigne ornée 
Est au milieu d'un tel déploiement de splendeur 
Que l'on devrait, il semble, y trouver le bonheur. 
Pourtant elle est abandonnée.


Abandonnée, avec ces champs verts alentour !
Vide, quand on peut voir de toutes ses fenêtres
Des coteaux, des vallons et des coteaux toujours !
Déserte, quand un lac au gracieux contour
Se montre là-bas dans les hêtres !

J'ai vu dans des pays ennuyeux, gris et plats, 
Des maisons sans aucun relief ni caractère, 
Près desquelles paissaient des troupeaux de bœufs gras, 
Pleines de mouvement, de filles et de gars, 
Où l'on trouvait bonne la terre.

Aux unes la richesse, à l'autre un pur tableau.
Ô Nature, en frappant de gel cette colline. 
Voulais-tu dire au bâtisseur qui vint si haut, 
Que l'homme éperdument attiré par le beau
À la misère se destine ?

Défricheur, qui rasas les bois pour t'établir 
Et préparas l'émotion qui me transporte, 
Je dois à ton travail de goûter ce plaisir ;
Pour te remercier permets-moi de t'offrir 
Ces vers écrits devant ta porte.

(Les Alternances, Montréal, Roger Maillet, 1921, p. 111-112)


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Blanche Lamontagne (1889-1958) « a puisé dans ses souvenirs d'enfance comme dans la vision directe de la nature de sa petite patrie gaspésienne, toute la matière de ses chants. Ses poèmes réalistes, descriptifs, et qui montrent avec vérité les choses les plus humbles de la vie rustique, sont aussi pénétrés d'un idéalisme très sain, qui les anime, les anoblit, leur donne leur sens supérieur. Nos meilleures traditions religieuses soutiennent la pensée du poète et l'attachent à toute cette vie rurale de chez nous qui ne va pas sans la piété ancienne, fidèlement conservée. » (Camille ROY, 1939, p. 109)

HYMNE À LA VIEILLE MAISON (extrait)

Avec son air rustique et bon, 
Portant sur ses épaules 
Les verts cheveux des saules, 
Rêve notre Vieille Maison...

Mieux que le plus beau paysage, 
Mieux que les grèves et les monts, 
La demeure que nous aimons 
N'a jamais changé de visage. ..

C'est ici que mes aïeux ont vécu, 
Qu'ils ont souffert, qu'ils ont aimé, que la jeunesse 
Dans sa coupe d'amour leur a versé l'ivresse, 
Et qu'ils sont morts, tombant comme tombe un vaincu.

C'est cette porte matinale 
Qui, par un jour clair et joyeux, 
Reçut au foyer des aïeux 
L'épouse à l'âme virginale. ..

C'est là que, la main dans la main, 
Simples dans le bonheur, calmes dans la souffrance, 
Ils ont, le cœur nourri de la même espérance, 
Parcouru le même chemin.

Mais la mort guettait, d'un œil sombre : 
Un jour, le foyer, resté seul, 
Les a vus, couverts d'un linceul, 
Prendre le noir chemin de l'ombre.

Depuis que la tombe a repris 
Leur être, un étrange silence 
S'appesantit sur leur absence, 
Et nous ne savons plus le côté qu'ils ont pris. ..

Ils vont... ils vont... Sur quelle route, 
Dans quel chemin ont-ils posé 
Leur désir épuisé, 
Et tendu leur rêve en déroute ?...

Ont-ils, dans la douceur 
De ces lieux, que la foi devine, 
Ont-ils trouvé, là-bas, sur la route divine, 
Une vieille maison qui ressemble à la leur ?...

Ont-ils, dans leur âme charnelle, 
Et leur attache à la maison, 
Ont-ils, au bout de l'horizon, 
Ont-ils trouvé, Seigneur, ta maison Éternelle ?

(La Vieille Maison, Montréal, L'Action nationale, 1920, p. 7-9)

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Nérée Beauchemin (1850-1931) chante «la terre, le clocher, la race : triple objet de la littérature régionaliste qui fleurit avec une abondance nouvelle au pays de Québec après 1900.» (Camille Roy, 1939, p. 67)

LA MAISON VIDE

Petite maison basse, au grand chapeau pointu, 
Qui, d'hiver en hiver, semble s'être enfoncée 
Dans la terre sans fleurs, autour d'elle amassée. 
Petite maison grise, au grand chapeau pointu, 
Au lointain bleu, là-bas, dis-le-moi, que vois-tu ?

Par les yeux clignotants de ta lucarne rousse, 
Pour voir plus clair, plus loin, tu sembles faire effort, 
Et froncer les sourcils sous ton chapeau de mousse. 
Vers ces couchants de rêve où le soleil s'endort, 
Pour voir plus clair, plus loin, tu sembles faire effort.

Il est couché, là-bas, au fond du cimetière, 
Celui qui t'aime encore autant que tu l'aimais. 
Petite maison vieille, au chapeau de poussière, 
Celui qui t'aime encore autant que tu l'aimais, 
L'absent, tant regretté, ne reviendra jamais.

(Patrie intime, Montréal, L'Action canadienne-française, 1928, p. 39-40)
  
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Clément Marchand est né en 1912. Il a dirigé une maison d'édition célèbre en son temps, le Bien public.Courriers de village (1940) appartient au domaine du terroir. Les Soirs rouges (publié en 1947, mais prix David en 1939!), après son prologue terroiriste, nous plonge dans la réalité urbaine du prolétariat frappé par la Crise.
                    RÉCITATIF DE LA BONNE SOUVENANCE (extrait)
Ma sœur, déjà le soir emmitoufle les branches, 
Et les vieilles maisons, dans l'ombre, sont moins blanches. 
Entrons. N'entends-tu pas se perdre au fond du bois 
La très douce chanson où revit l'autrefois? 
N'entends-tu pas décroître, à l'horizon des gerbes, 
Les lointaines foulées des troupeaux dans les herbes 
Et les sourds roulements des chars nimbés de foin 
Qui vont, faisant gémir les chemins bruns, au loin? 
Entrons et que le seuil tende à nos pas tremblants 
La douceur qu'autrefois y défeuillaient les champs. 
Entrons pieusement, sans bruit et sans tristesse, 
Afin que notre vie soit comme une caresse 
Et réchauffe le cœur meurtri de la maison 
Qui pleure d'anciens deuils, de saison en saison.

Contre le seuil s'appuient nos ombres parallèles.

Nous retrouvons, ce soir, la terre maternelle 
Et sa force de pain et sa douceur de lait 
Et la séduction profonde de ses traits. 
On dirait qu'un appel chante dans chaque pierre, 
Que dans chaque fenêtre un visage s'éclaire 
Et que tout le passé nous accueille, très las, 
Nous dit une chanson et nous prend à son bras. 
Rien au fond n'est changé, si ce n'est que la vie 
Est toute imprécisée et d'ombres poursuivie. 
Nous sommes revenus par le même chemin, 
Mais le son de nos voix est plus sourd, et nos mains 
Tremblent un peu devant le tranquille mystère Q
ue défend la vigile ardente de la pierre.

Trop longtemps nous avons erré loin de ces lieux 
Et nourri de l'abstrait nos rêves soucieux. 
Il faut qu'en la fraîcheur des fenêtres décloses 
Nos regards fatigués du leurre se reposent. 
Car c'est là, dans la paix où la nuit va venir, 
Que s'approfondiront en nous les souvenirs 
De l'époque lointaine, à jamais en allée, 
Où ce toit désuet chantait sous la feuillée, 
Pendant qu'aux prés fumants, en blondes visions, 
S'esquissait le bonheur des prochaines moissons.

Voici l'aire surgie des mains de nos ancêtres 
Et qui, pendant un siècle, eut nos pères pour maîtres. 
C'est là que nos aïeux — race de laboureurs — 
Passèrent dans la gloire obscure des labeurs, 
Ouvrant les sillons bruns, liant les orges mûres 
Et déployant, au creux des combes en culture, 
Le conquérant effort de leurs torses musclés.

C'est là qu'au crépuscule, en la ferveur des blés, 
Ils hâtèrent gaiement leurs hautes silhouettes 
Vers ce toit qui semblait, d'une chanson muette, 
Accueillir leurs pas lourds et leurs gestes aimés. 
Et c'est là que la vie a doucement rythmé 
Le bonheur à leur front et le chant à leurs lèvres, 
Et de fortes amours ensemencé leurs rêves.

(Les Soirs rouges, Trois-Rivières, Bien public, p. 9-11)

 * * * 
Alphonse Désilets (1880-1956), agronome de profession, a voué un « culte pour nos bonnes gens, leur vie joyeuse et rustique, et la terre où s'exprime leur simple histoire ». (Camille Roy, 1939, p. 110)
LA MAISON QUI MEURT

Vous la reconnaîtrez en passant sur la route ; 
Elle est silencieuse, on ne sait depuis quand !
Des vieux vous diront bien qu'il s'est fait un encan 
Chez elle, en « trente-sept », et que sa vieille voûte
Fut faite d'épinette et blanchie à la chaux, 
Mais ils ne savent rien de plus sur son histoire...
Si vous entr'ouvrez les volets de pruche noire
Qui, depuis bien longtemps ont tenu ses yeux clos, 
Vous saurez la détresse où la plongea naguère 
Le départ de tous ceux qu'elle a vu naître au jour 
Et chanter et sourire et se parler d'amour 
Avant d'aller mourir sur la terre étrangère. 
Elle vous parlera des nids et des berceaux 
Qu'elle sut protéger contre l'intempérie ; 
Elle évoquera même un vieux qui l'a chérie 
Parce qu'elle est le fruit de ses vaillants travaux.

Les objets oubliés, pendus à la muraille,
Un vieux gilet de lin, les pinces du foyer,
Une vieille chaussure au pied de l'escalier,
Un chapeau dont grand'mère avait tressé la paille,
Sont les seuls lambeaux d'âme qui lui soient restés.
Aussi ressemble-t-elle à ces affreux squelettes
Que la mort, au détour du chemin sombre, guette
Et qu'une âpre bourrasque aura vite emportés. . .
Elle s'en va mourir comme une condamnée.
Soumise à son destin, elle a courbé le front,
Elle s'est prosternée en face de l'affront
En attendant que l'heure ultime soit sonnée !...

L'abandon qu'en son cœur, joyeux anciennement, 
A fait naître aujourd'hui l'ingratitude humaine, 
Le silence et le froid, son plus cruel tourment, 
Elle supporte tout sans murmure et sans haine.

Voulez-vous éprouver la solide vertu 
Qui l'anime et que lui léguèrent les ancêtres ? 
Quand la tempête, un soir, fouettera ses fenêtres, 
A son toit, par l'orage tant de fois battu, 
Demandez un asile et vous verrez la joie 
Qu'elle met à rouvrir son sein hospitalier ! 
Elle vous offrira le vieux siège oublié 
Près de l'âtre où personne aujourd'hui ne s'assoie. 
Elle vous défendra contre le vent rageux 
Ou l'éclair qu'interdit son vieux paratonnerre ; 
Et vous reconnaîtrez que son grand cœur de mère 
Quoique triste est resté vaillant et généreux...

(Mon pays, mes amours, Chez l'auteur, 1913, p. 24-26)

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