27 juillet 2007

Le feu intérieur

Rex Desmarchais, Le feu intérieur, Montréal, Albert Lévesque, 1933, 196 pages. 

Première partie Marthe Vallière, 19 ans, fille d’une riche famille d’Outremont, a deux prétendants. Jules Perrier appartient, tout comme elle, à une grande famille bourgeoise. Il joue à l’artiste même s’il sait que son talent est limité. Robert Leval est un instituteur, fils de fonctionnaire. Il a écrit un roman qui lui a procuré une petite notoriété. Les deux sont très différents : Jules est un dandy un peu cynique alors que Robert est un romantique plutôt sombre. Quant à Marthe, elle est une cérébrale complètement coupée de ses émotions, mais une fille volontaire qui mène sa barque comme elle l’entend. Contre toute attente, elle choisit le petit instituteur écrivain : il faut dire qu’elle aime bien aller à l’encontre des idées qu’on essaie de lui imposer et, en plus, elle se dit qu’elle pourra l’inspirer (il est en train d’écrire un roman qu’il a intitulé L’Inspiratrice), donc à travers lui jouer un certain rôle social, être plus que la femme de Monsieur Chose. Elle l’épouse sans l’aimer. 

 Deuxième partie Robert avait bien vu que Marthe était froide, distante. Il se croyait capable d’éveiller sa sensualité. Erreur! Leur nuit de noces et les nuits suivantes sont désastreuses. Rapidement, ils font chambre à part. Quant à Marthe, elle a tôt fait de constater qu’elle étouffe dans la petite vie étriquée que lui propose son petit instituteur et que le rôle d’égérie ne suffit pas. Bref, au bout d’un mois, tous les deux sont convaincus que leur mariage est un échec. Ils viennent près, l’un et l’autre, d’avoir une aventure extraconjugale, Robert avec sa belle-sœur et Marthe avec son Jules. Quand Marthe devient enceinte, la situation change du tout au tout. Le couple renaît. Elle vit intensément sa maternité et il est plein d’attentions pour elle. Malheureusement, l’enfant naît avec une lésion au cœur. Marthe le veille avec désespoir mais il meurt. Le couple se défait à nouveau. Robert hérite de la maison de sa vieille tante à l’extérieur de Montréal. Ils y déménagent. Dans ce nouveau milieu, Robert gagne beaucoup en indépendance, en maturité. Marthe, désolée de voir qu’elle n’a plus d’ascendant sur lui, commence à l’aimer. 

C’est un roman psychologique qui fait partie de la tentative de relance du roman par Albert Lévesque au début des années 1930. L’intrigue est assez légère, banale. Je pense que le résumé doit parler de lui-même. C’est mélodramatique, pas très bon. Ce roman manque de consistance, de logique interne. Ou j’ai mal lu, ou il me semble que le caractère de Marthe change complètement en cours de lecture. Cette jeune femme volontaire, que personne ne peut faire plier, finit à la remorque d’un mari faiblard. D’ailleurs toute cette relation de couple, on n’y croit pas. C’est du mauvais roman! Pour trouver un intérêt à ce roman, il faut le regarder sous un autre angle. Au lieu de voir un jeune homme qui cherche une femme qui lui permettra de s’élever socialement, on pourrait le regarder du point de vue de la femme. Marthe est une fille de riche, capricieuse mais intelligente, qui est en âge de se marier. Sa vie libre va pour ainsi dire se terminer là. Elle qui avait toute liberté d’agir à sa guise, elle devra s’en remettre à un homme pour la suite des choses. En fait, pour donner un sens à sa vie, elle a cette alternative, choix qu’elle va explorer : si elle devient mère, elle pourra « façonner » un être humain; sinon, elle devra vivre par procuration, devenant l’inspiratrice de son mari, au mieux elle pourra influencer l’écrivain. Bref, vivre pour les autres. Le roman présente aussi quelques réflexions sur l’inspiration de l’artiste. Comme toujours chez Desmarchais, c'est très romantique. Seul le malheur inspire l’artiste. 

Extrait 
Les mois qui suivirent Noël furent pour les Leval une période d'accalmie. Marthe sortait peu, recevait moins de visiteuses. Elle ne paraissait pas s'ennuyer de cette demi-solitude, une grande attente suffisant à remplir ses jours. Les ouvrages de couture, de tricot, de broderie, l'occupaient. Elle les préférait même à la lecture. Jeune fille, elle avait fondé avec le concours de quelques amies un cercle dit « Cercle de couture des débutantes ». « Ma petite cousine devient popote », disait Réjane, qui eût fait la femme idéale d'un ambassadeur. Gisèle Lauzel, se consacrant à une fillette âgée de trois mois, comprenait mieux la conduite de son amie. La maternité, la simple espérance d'une prochaine maternité, change parfois une jeune femme, lui inculque mieux que n'importe quelle leçon le sens du devoir, du sérieux de la vie. Dans les circonstances décisives, une personne montre ce qu'elle est par sa façon de réagir. On peut déterminer, à l'observation, si elle est essentiellement superficielle ou capable de gravité. Marthe avait beaucoup sacrifié à la vie frivole, avait souvent poussé à l'extrême le goût des distractions. Des jeunes gens l'ayant blâmé durement, Robert l'avait toujours défendue: « C'est une enfant comblée qui n'a connu aucun motif de bonheur ou de souffrance. Attendez, je suis persuadé qu'elle se montrera à la hauteur de toute circonstance. » La conduite de Marthe après leur mariage avait entamé cette foi du jeune homme. Aujourd'hui, il se félicitait du changement qu'il notait en sa femme. Ses généreuses hypothèses sur les qualités de la jeune femme semblaient en voie de se confirmer. Il avait confiance en cette eau dormante dont la profondeur même dérobait — mais, il voulait l'ignorer — les possibles retours de colère. 

Rex Desmarchais sur Laurentiana

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