28 octobre 2008

Menaud maître-draveur (suite)

Dans ma présentation de Menaud maître-draveur, j’ai mentionné que le roman avait reçu plusieurs versions. J’ai jeté un coup d’œil sur l’édition de 1944. Effectivement le style s’est dépouillé, pour ne pas dire asséché. Voici l’extrait que j’ai présenté et sa nouvelle version :

Extrait
Une clameur s'éleva !
Tous les hommes et toutes les gaffes se figèrent, immobiles... Ainsi les longues quenouilles sèches avant les frissons glacés de l'automne.
Joson, sur la queue de l'embâcle, était emporté, là-bas...
Il n'avait pu sauter à temps.
Menaud se leva. Devant lui, hurlait la rivière en bête qui veut tuer.
Mais il ne put qu'étreindre du regard l'enfant qui s'en allait, contre lequel tout se dressait haineusement, comme des loups quand ils cernent le chevreuil enneigé.
Cela s'agriffait, plongeait, remontait dans le culbutis meurtrier...
Puis tout disparut dans les gueules du torrent engloutisseur.
Menaud fit quelques pas en arrière; et, comme un bœuf qu'on assomme, s'écroula, le visage dans le noir des mousses froides.
Alexis, lui, n'avait écouté que son cœur. Il s'était précipité dans le remous au bord duquel avait calé Joson.
Et là, il se mit à tâtonner à travers les longues écorces qui tournaient comme des varechs, à lutter de désespoir contre les tourbillons de l'eau, à battre de ses bras fraternels, à l'aveuglette, vers des formes qui semblaient des signes de forme humaine.
Et quand le remous lui serrait à mourir le cœur dans l’étau de glace, il remontait respirer, crachait l’eau, puis replongeait encore, acharné, dans la fosse sépulcrale, presque fermée par les linceuls de l'ombre.
Et les autres, muets, avaient leurs regards piqués sur l’eau noire, entree les écumes qui tressaient déjà des couronnes funèbres.
Non, personne autre que lui n'aurait fait cela; car, c'était terrible ! terrible !
A la fin, d'épuisement, il saisit la gaffe qu'on lui tendait, remonta de peine en se traînant sur les genoux, se dressa dans le ruissellement de ses loques, anéanti, les yeux fous, les lèvres blanches, les bras vides...
A peine murmura-t-il quelque chose que l'on ne comprit pas; puis il prit sa course vers les tentes, et se roula dans le suaire glacé de son chagrin.
Alors, semblable à un homme ivre, levant haut les pieds comme ceux qui tombent de la clarté dans les ténèbres, arriva Menaud, ses paupières basses sur la vision de l'enfant disparu.
Et les hommes s'écartèrent devant cette ruine humaine qui descendait en se cognant aux bords du sentier.
Il demanda: « L'avez-vous ? »; se fit indiquer l’endroit de plonge, regarda les mailles du courant et dit:
« II est là ! »
Il prit sa gaffe, fit immobiliser une barque en bordure du remous, et se mit à sonder, manœuvrant le crochet avec d'infinies tendresses. (p. 82-84)

Une clameur s'éleva !
Tous les hommes et toutes les gaffes se figèrent, immobiles.
Joson n'avait pu sauter à temps; il était emporté sur la queue de l'embâcle !
Menaud se leva. Devant lui hurla soudain la rivière en bête qui veut tuer.
L'enfant s'agriffait, plongeait, remontait dans le culbutis des bil­les.
Puis, il disparut dans les gueules de l'eau.
Menaud fit quelques pas en arrière; et, comme un bœuf qu'on assomme, s'écroula, le visage dans le noir des mousses.
Alexis, lui, s'était précipité dans le remous.
Il se mit à tâtonner à travers les longues écorces, à battre de ses bras fraternels vers des formes étranges qui semblaient des signes de Joson.
Et quand l'eau lui gelait le cœur, il remontait respirer, puis, replongeait encore dans la fosse parmi les linceuls de l'ombre.
Non ! personne autre que lui n'aurait fait cela; car, c'était terrible ! terrible !
Mais, d'épuisement, il dut bientôt saisir la gaffe qu'on lui tendait. Les yeux fous, les lèvres blanches, les bras vides, il courut vers les tentes et se roula dans son chagrin
Alors, arriva Menaud, pareil à un homme ivre. Les bras tendus, il s'appuyait aux arbres, il levait haut les pieds comme ceux qui tombent de la clarté dans les ténèbres.
Il regarda les mailles du courant, prit une gaffe, fit ancrer sa barque au bord du remous, et se mit à sonder, manœuvrant le crochet de fer avec tendresse. (Edition de 1944)

J’ai aussi lu le même extrait dans l’édition de 1964. Il ressemble étrangement à celui de 1937.

1 commentaire:

  1. « Sur sa table se trouvent quatre exemplaires de son livre. Deux d'entre eux, datés de 1937 et 1944, sont des oeuvres complètement distinctes, opposées presque par le ton et par l'expression. Il n’en est pas satisfait et les repousse de la main. Les deux autres non plus ne le comblent pas. Le texte de 1938 ne comporte que quelques retouches sans importance ; celui de 1960, cependant, étant plus travailIé, l’intéresse encore. C'est celui-là qu’il ouvre et décide de refaire. L'abbé Savard se remet à la ttche, courageusement, bien résolu, cette fois, à trouver ce que Rimbaud appelle « le lieu et la formule ». Cela aboutira à un autre Menaud, maître draveur, celui de 1964, dont il pourra à juste titre se dire content. » (François Ricard, L’art de F-A Savard dans Ménard maître-draveur, p. 54-55)

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