21 février 2009

Marcel Faure

Jean-Charles Harvey, Marcel Faure, Montmagny, Imprimerie de Montmagny, 1922, 214 p
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Au lieu d’adopter une profession libérale comme ses confrères, Marcel Faure décide d’embrasser une carrière dans le commerce, à l’encontre des avis des conseillers en profession de l’époque. Il ne finira pas ses études, car il doit reprendre en main l’entreprise familiale (un magasin général), quand son père décède subitement, quelques mois après la mort de sa femme. Marcel Faure est donc orphelin (un autre!). Il a une sœur, mais il ignore qu’elle n’est pas vraiment sa sœur. Cette jeune fille, Claire, est née de « l’union illégitime » de la servante des Faure et d’un ami de la famille. Par amitié pour leur domestique, les Faure ont élevé la jeune fille comme si elle était leur propre enfant. Marcel éprouve des sentiments assez ambigus pour sa sœur. Elle, par contre, sait que Marcel n’est pas son frère. En mourant, sa mère adoptive lui a révélé le secret. Le père, mort subitement, devait le dévoiler à Marcel.

Marcel fait des affaires d’or avec son magasin. Pourtant, il trouve que ce travail manque de défis. Il a des vues de grandeur. Il décide de créer de toutes pièces une petite ville modèle autour de l’industrie métallurgique. Dix ans passent. La nouvelle ville est florissante. Marcel gère non seulement l’entreprise mais aussi la vie de ses employés. Il a construit une école et d’autres institutions pour que ses ouvriers puissent développer aussi leur esprit. Par contre, il exige d’eux une adhésion totale à l’entreprise. Les syndicats y sont particulièrement mal vus. De riches financiers anglo-saxons finissent par jalouser, voire craindre son succès. Ils décident de torpiller l’entreprise de Marcel, mais celui réussit à déjouer leur plan machiavélique. Une autre menace apparaît bientôt : le Québec élit un gouvernement de gauche, issu des syndicats. Celui-ci menace l’entreprise de Marcel, en proposant la semaine de quarante heures, projet que Marcel réprouve au plus haut point. Encore une fois, il réussira à déjouer les plans de ces « communistes ».

Je passe sur l’intrigue amoureuse qui est d’une puérilité inqualifiable (À la fin du roman, sa sœur finira par révéler à Marcel qu’il n’est pas son frère et les deux se marieront). Socialement parlant, Harvey apparaît parfois audacieux et parfois rétrograde. Si on se place dans le contexte des années 1920, il n’était pas si courant d’avancer l’idée qu’il fallait développer l’économie, se frotter au monde de l’argent, tenter de supplanter les Anglo-saxons sur leur propre territoire. Il était aussi très audacieux de présenter une société en grande partie laïque, entre autres en ce qui regarde les écoles. Pour Harvey, il faut rompre avec le traditionalisme, celui qui voulait que nous soyons un peuple spiritualiste plutôt que matérialiste. Par contre, ses attaques féroces contre les syndicats, contre les interventions gouvernementales dénotent un conservateur social, imprégné d’un américanisme primaire. Pour lui, il faut en toutes circonstances protéger l’initiative individuelle et le capitalisme. Harvey décrit en quelque sorte une société utopique.

C’est un roman à idées. Les personnages ne dialoguent pas, ils dissertent. C’est moins l’intrigue ou les personnages que sa thèse sociale qui importe à l'auteur. Lecture laborieuse. **


Extrait
— Nos institutions que vous prétendez améliorer, dis-je, repassez leur histoire. Exister, pour une race, c'est avoir sa foi, sa langue, ses habitudes, ses amours, sur un sol bien à elle où elle bâtit ses foyers, ses églises et ses écoles. Inébranlables comme des dogmes, nos vieilles institutions nous ont permis d'exister en combattant l'effort de pénétration des éléments étrangers. Elles ont infusé à nos professionnels la culture latine, si catholique et si humaine, qui fait que nous tranchons comme une barre de lumière sur le fond sombre de la carte d'Amérique. Depuis l'Union, quels ont été les hommes qui ont défendu et sauvé nos principes et nos idéaux ?...D'où venaient-ils ?...Qui les avait formés ?...
- Je ne conteste pas les mérites de notre passé. Que d'éloquence il a contenu ! Les deux ou trois générations qui nous ont précédés ont entendu un nombre incalculable de paroles. Elles ont admiré et applaudi ceux qui leur parlaient de fierté, de survivance, de sang de nos pères... Chansons !... Pendant ce temps, ce peuple sombrait dans l'insouciance et dans l'inertie. Il ne savait rien des activités qui font le salut ; seuls les beaux diseurs savaient tout.
— Mais....
— Ne protestez pas. Vous autres, hommes d'hier, vous croyez que tout ce que vous touchez doit avoir la durée d'un dogme.
— Non pas !
— Si !... Vous venez de dire que nos vieilles institutions sont inébranlables comme des dogmes. Vous vous repaissez d'infaillibilité et d'admiration mutuelle. C'est pourquoi, les petits bonshommes qui sortent d'une certaine école se croient d'une essence supérieure. Avec quel dédain ils nous traitent, nous, les hommes d'œuvres, qui les empêchons de crever. Ils méprisent les réalités physiques au profit d'une fumée.
— C'est cela, subordonnez la matière à l'esprit, remplacez les chercheurs d'idéal par les chercheurs d'or. Paganisme !
— Pauvre illusionné ! Cet idéal que vous prêchez et auquel vous donneriez volontiers des martyrs, vous ne le conserverez qu'à la condition devoir assez d'argent pour le faire valoir. Il n'y a qu'un moyen de faire reculer la barbarie, de nos jours : c'est de la bombarder de pièces de monnaie et de billets de banque. Les peuples les plus pauvres sont toujours les moins civilisés.
— Distinguons entre la vraie, et la fausse civilisation. II suffit qu'une nation soit chrétienne pour qu'elle soit civilisée, tandis que...
— Je ne vous suivrai pas sur ce terrain brûlant. Une discussion sur la question religieuse est plus difficile que vous vous l'imaginez : nous ne nous entendrions pas.
«Examinons les faits : il n'est pas de métaphysique qui tienne devant les faits. Que remarquez-vous parmi les nations d'Amérique ? Une guerre continuelle entre les divers pays du continent, la guerre de l'argent. Cette hostilité est tellement mondiale, que les races modernes ne sont vraiment protégées que si elles élèvent autour d'elles des remparts de piastres, de francs ou de marks. L'Angleterre, la France, les États-Unis, même le Japon, n'ont d'autre système de défense. Que serait-il resté du trésor intellectuel et national de la France, si elle n'avait eu, pour se garer des obus allemands, une chaîne de montagnes élevée par les titans de l'or, les monts Milliards, plus infranchissables que les Alpes. (p. 134-137)

Jean-Charles Harvey sur Laurentiana :
Les Demi-Civilisés
L’Homme qui va
Sébastien Pierre

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