14 mai 2011

Réminiscences. Les Jeunes Barbares

Arthur Buies, Réminiscences.  Les Jeunes Barbares, Québec, Imprimerie de l’électeur, 1893, 110 pages.

Réminiscences
Buies, né en 1840, jette un regard nostalgique sur ses années de jeunesse, soit la période 1860-1870. Il raconte un peu sa vie personnelle, mais surtout son implication auprès de l’Institut canadien. Là s’était formé un petit cénacle de résistants face aux velléités ultramontaines de Mgr Ignace Bourget. La génération de Buies assura la relève des Joseph Doutre, Éric Dorion, Charles Daoust, Joseph Papin, Louis Labrèche-Viger, Charles Laberge : « Quand nous parûmes sur la scène, nous, c-à-d. ceux qui ont aujourd'hui de quarante-cinq à cinquante ans, et même, hélas! .... un peu plus, la brillante pléiade de 1854, qu'on a appelée « la pléiade rouge » commençait à décliner sérieusement. »  

À l’époque, Buies, étudiant peu sérieux,  terminait son  droit. Il l’exerça quand même pendant une courte période pour le plus grand malheur de ses clients. Plus intéressé par l’écriture et le journalisme, et par les discussions et la fête, il participa activement aux travaux  de l’Institut : « Aussi, tout en étant jeunes, et même très jeunes à nos heures, étions-nous aussi des hommes aimant le travail fécond, comprenant toutes les responsabilités de l'avenir et nous y préparant par la culture mutuelle, sans jamais tomber dans l'admiration mutuelle, maladie infectieuse attaquant de préférence les inférieurs et les incapables qui ont besoin de s'exalter entre eux, qui s'en font accroire avec un sérieux désopilant et qui s'imaginent en faire accroire autant au public. » Le « noyau serré et presque indivisible, qui mangeait à la même table et habitait à peu près sous le même toit » comprenait Wilfrid Laurier « toujours studieux, toujours absent des plaisirs », C. A. Geoffrion « l’ami des temps durs », Alphonse Lusignan « l’amoureux des lettres », Gonzalve Doutre « pilier inébranlable de l’Institut canadien », Ovide Perreault, Oscar Archambault, Joseph Turgeon, Prisque Arthur Letendre et quelques autres.

De 1864 à 1869 ce groupe occupa l’avant-scène, puis se dispersa après que Bourget eut condamné à l'excommunication tout membre de l’Institut. Ce qui est étonnant, c’est que sous plusieurs aspects, l’effervescence de cette période nous rappelle celle de la Révolution tranquille survenue cent ans plus tard.

« Notre génération appartenait à l'époque de transition entre le Canada ancien et le Canada nouveau. Nous avons connu le vieux Montréal, celui que nous avaient légué nos pères, avec une physionomie qui se modifiait lentement et imperceptiblement par l'action d'un progrès mesuré et longuement prévu. »

« C'était au temps où l’on commençait les démolitions de la rue Notre Dame, où l'on comblait le fossé de la rue Craig et les marais de la rue Sainte-Catherine, laquelle ne dépassait guère alors le Beaver Hall, du côté ouest, au temps enfin où la rue Saint-Denis comptait tout au plus une vingtaine de maisons, qui avaient l’air de se demander par quel hasard elles étaient plantées là. »

« Nous formions au cénacle un groupe d'audacieux et de téméraires qui ne reculaient devant rien… En ce temps-là la lutte était terrible entre une autorité intransigeante, impitoyable, déterminée à faire courber tous les esprits, à détruire les plus petits germes, les plus légers souffles d'indépendance intellectuelle, entre cette autorité, dis-je, et ce qui tenait encore de l'ancienne phalange  des libéraux restés debout dans la déroute de leurs idées, et continuant à résister dans l'écrasement de leur parti. »

Buies raconte quelques débats et prises de position de son groupe : par exemple, alors que l’Église prend faits et causes pour les Sudistes, les « Rouges » se rangent derrière les états nordiques et la République. Pour avoir une idée du style de Buies, voici comment il présente les opposants :

«  La campagne contre le Nord fut menée avec cette âpreté tranchante, avec cet esprit provocateur, cette intransigeance haineuse, ce parti pris ou plutôt ce culte du dénigrement, avec ce débordement de calomnies et cette virulence de fiel qui caractérisent les fanatiques de politique presque à l'égal des fanatiques de religion, et les assimilent bien plutôt à une secte qu’à un parti, je veux dire ce ceux qui, ayant transporté sur un théâtre plus étroit l'esprit et les traditions du torysme britannique, en sont devenus d'autant plus intolérants et plus intolérables.

Ces hommes, que le créateur ne s'est décidé à former qu'avec bien des précautions et après avoir longtemps d'avance pétri un limon spécial, sont tout charpentés d'arrogance et d'outrecuidance. Ils consentent à la rigueur à passer pour faire partie de l'espèce humaine, mais à la condition qu'on reconnaisse qu'ils sont nés pour lui commander, que l'autorité leur est dévolue naturellement, qu'ils ont un droit unique et exclusif de l'exercer, de la tenir, et que là où le pouvoir leur échappe, ils ne sont pas tenus, pour le ressaisir, d'user, comme les autres hommes, des moyens vulgairement appelés légitimes. Aussi, quand ces hommes-là sont des catholiques, de par leur nature supérieure sont-ils plus catholiques que le pape, et tous ensemble, avec ceux de leur espèce qui sont protestants, sont-ils plus loyaux que la reine. »

Les Jeunes Barbares
Buies entend servir une leçon d’écriture et d’humanisme à la jeune génération (celle des années 1880). Il choisit le texte d’un journaliste du Glaneur, qu’il ne nomme pas, prenant plaisir à relever, fautes, erreurs de style  ou tout simplement bêtises du propos. L’attaque face aux jeunes est très virulente : « Pour ma part, je serais porté à toutes les indulgences possibles à l'égard des « Jeunes », s'ils ne nous fendaient pas la figure avec leurs prétentions outrecuidantes, s'ils voulaient être modestes un seul jour, comme il convient à des gens qui savent assez peu pour avoir tout à apprendre ; s'ils voulaient enfin se mettre dans la tête qu'ils sont très malades, et que s'ils continuent de braver les lois de l'hygiène morale, ils courent le risque de devenir un objet particulier de sollicitude pour les municipalités dont ils relèvent. »

Puis il s’en prend au docteur C, lequel a eu le malheur de publier  un article dans « La Patrie », article dans lequel il se vante d’une intervention qui aurait sauvé la vie d’un vieillard. Buies démontre  que le style est approximatif ou incorrect et que le tout est mal raconté, prétentieux. Il termine par ce conseil : « Docteur, docteur. Restez dans votre laboratoire. Ne vous servez que du pilon, jamais de la plume. Une plume entre vos mains est plus dangereuse qu'un rasoir entre les mains d'un enfant. / Pilulez, réduisez, onguentez et cautérisez, mais n'écrivez pas. »

En fait, au-delà de ces deux critiques très ciblés, il dénonce une certaine culture, dont la jeunesse n’est que la victime. Après avoir donné quelques conseils aux « jeunes Visigoths », il dénonce l’enseignement dans nos écoles et surtout la mainmise de l’Église sur l’éducation : « Quand je vois ce qu'on a fait de notre jeunesse, si intelligente en somme et si bien douée, quand je pense à l'instruction qu'on lui a donnée en retour de la confiance illimitée et de l'obéissance passive de tout un peuple, quand je la vois livrée sans contrepoids à une caste d'hommes qui s'est constituée l'unique éducatrice des générations, qui repousse comme un sacrilège l'idée seule de recruter des professeurs en dehors de son propre sein et qui aime mieux nous abandonner au mépris des autres races, que de voir diminuer d'une infime fraction la domination qu'elle exerce, je me sens,— et bien d'autres se sentant comme moi,— saisi d'une indignation patriotique qu'il n'est plus possible aujourd'hui de contrôler ni de retenir en soi. »

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