5 mars 2012

Cotnoir


Jacques Ferron, Cotnoir, Montréal, Éditions d’Orphée, 1962, 99 pages.

Le docteur Léon Cotnoir, « médecin sans réputation, notable de faubourg, bourgeois encanaillé, honte de la paroisse, damné de vieille date », vient de mourir. Avec une telle réputation, il est clair qu’on ne se bouscule pas aux portes de l’église de Saint-Antoine-de-Longueuil pour assister à ses funérailles.

Seuls quelques confrères et personnages d’allure louche accompagnent le mort. Pour représenter les docteurs, ils sont quatre : le narrateur, Gérin, Leroyer arrivé en retard (« un grand bel homme, toujours vêtu d’étoffes anglaises ») et Bessette, un morphinomane qui court les enterrements afin de recueillir les restes de morphine laissés par les défunts. Du côté des personnages à l’allure louche, on remarque un notaire (« l’air d’un rat, le nez pincé et les dentiers trop grands »), Sauviat, barbon au visage de pucelle, « trafiquant en tout et vivant seul dans son officine comme un gros chat dans son trou », enfin madame Cotnoir elle-même, une Française qui a toujours vécu cloîtrée dans sa grande maison bourgeoise, son mari étant son seul lien extérieur. S’ajoutent quelques croque-morts obséquieux et, pour le reste, ce sont les habituées des enterrements, faune parquée au fond de l’église : « vieillards à la peau séchée, dévotes sans famille, échappées d’hospice, demoiselles noires. »

Au-delà des funérailles, Ferron raconte la dernière journée du docteur Cotnoir. Il s’est occupé d’un patient, fraîchement sorti de Bordeaux, Emmanuel, lequel a trouvé refuge chez son cousin Aubertin, lequel vit avec sa femme, ses six filles et leurs perruches, à l’écart de la grande route, le long du chemin Chambly, là où « le beau Viger et ses hommes […] s’embusquèrent pour attaquer les Habits rouges et déclencher la révolte de 1837 ». Cet Emmanuel, un simple d’esprit, qui a la manie de baisser ses culottes dans la rue, les a baissées une fois de trop devant les filles du cousin Aubertin, ce qui n’a pas plu à madame, qui a quand même eu la délicatesse d’appeler Cotnoir plutôt que la police. Cotnoir a décidé que le remède était on ne peut plus simple : il suffisait de mettre Emmanuel sur le train de Québec et, assurément, un bûcheron de passage l’emmènerait dans les chantiers. Mais le soir venu, ledit Emmanuel fait faux bond, donc ne prend pas le train. Avant de rentrer chez lui, Cotnoir, fourbu et se sentant mal, fait un détour par la taverne. De retour chez lui, la mort le surprend, lui laissant quand même le temps d'un dernier regard ironique sur le monde qu'il quitte :  

« Or voici qu’il se trouvait à l’improviste devant la simplicité de mourir, un acte qui n’implique que soi, involontaire, c’est sa faiblesse, mais qui devient propre quand on l’assume seul. Il eut la dignité de ne pas appeler. Il fit : ouf! Et sombra; auparavant eut encore le temps de penser que sa mort titubante déjouerait tout le monde et qu’on ne se porterait à son secours que trop tard; il n'eut pas toutefois le loisir de s'en amuser. Les mourants d'ailleurs n'ont pas d'humour; ils voient, ils constatent c'est tout : le moment est trop vif pour qu’ils puissent l'approfondir, l'apprécier, le goûter. L'opérateur tombe; la caméra continue d’enregistrer : un dernier bout de film qui ne sera jamais projeté. Le cœur s'arrête; les poils continuent de pousser. Tout cela fait partie du résidu et n'offre aucun intérêt. »

Au matin, sa femme, croyant son mari absent, refuse l’appel d’un homme, dont l'épouse est en train de mourir, avant de finalement le découvrir  (ils font chambre à part), gisant « l’œil entrouvert, l’écume à la bouche, les lèvres noires ». Elle appelle son confrère Gérin : malheureusement ce dernier vient de répondre à l'appel qu’elle vient de refuser au nom de son mari.  Il lui conseille d’appeler le prêtre. « À sept heures, on en était [déjà] rendu au croque-mort. »

Ferron est un conteur exceptionnel. Ce petit livre génial est écrit dans un style tout de finesse, plein d’humour et, en plus, la narration est très savante, ce qui dans ce cas n’est pas un défaut. Ce n’est pas la première, et sans doute pas la dernière fois, que je lis Cotnoir.

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1 commentaire:

  1. Merci, monsieur Lessard, de cette superbe recension de l'ouvrage de l'Admirable Docteur.

    On ne dira jamais assez de bien de notre écrivain national.

    Pierre Cantin
    Chelsea-sur-Gatineau

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