14 mars 2015

Mariposas et autres poèmes

 © Librairie DÉOM 
Comme l’œuvre de Sylvain Garneau fait partie depuis 2003 du domaine public, je me permets de publier quelques-uns de ses poèmes.


MARIPOSAS
Les autres amoureux, derrière le hangar,
Allaient en chuchotant cueillir des pâquerettes.
Les plus vieux attendaient ou fouillaient du regard
Les bosquets éclairés par les lampes violettes,
Où, cachés, nous buvions la bière d’épinette,
Fiers de se sentir seuls, invisibles, si tard !
C’étaient des Italiens qui habitaient derrière.
Ils nous semblaient exquis, les raisins desséchés
Que nous leur dérobions, tout frémissants, couchés
A plat ventre devant la clôture de pierre.
On ne nous voyait pas. Ce qu’on nous a cherchés !
Mais moi, je pouvais voir passer Jeanne avec Pierre.

Chaque soir, ils passaient, vers onze heures et quart.
Elle légère, là... lui, sur sa bicyclette.
Je me souviens aussi de l’heure exacte, car
Pour moi c’était le temps de rentrer. Ah ! fillettes !
L’odeur du foin mouillé nous montait à la tête.
Je me croyais le seul  à rester à l’écart.
Alors nous regardions voler dans la lumière
Sur le jeu de croquet, entre les fronts penchés,
De grands papillons noirs. Le bedaud se fâchait,
Levait les bras en l’air et battait la poussière.
Nous riions, la main sur la bouche, sans broncher.
Moi, j’attendais de voir passer Jeanne avec Pierre.

Les Italiens, un jour, sont partis. Leur départ
A été regretté... par nous, âmes seulettes
Qui savions apprécier les raisins en retard
Qu’on croque en grimaçant... Cette saveur surette !
Les Italiens sont morts. Sais-tu que c’est ma fête
Aujourd’hui ? C’est curieux : écoute le huard.
Mon canot est percé. Adorable rivière,
Les Italiens sont morts. Nénuphars arrachés !
Vous mourez sur l’étang où son père péchait !
C’est ma fête, aujourd’hui. Verse-moi de la bière.
Que faisais-tu au temps où j’allais me cacher
Pour regarder passer Jeanne au bras de mon frère ?

Envoi
Princesse ! On a dynamité ma grenouillère !
Vois le martin-pêcheur perché sur le rocher.
Les Italiens sont morts. J’entends quelqu’un marcher.
Notre île aux rats musqués n’est qu’une souricière.
Nous n’avons qu’un instant pour aller nous cacher
Et regarder passer Jeanne qui pleure Pierre.


ROIS ET CHATEAUX

II
Tu ne fus à mes yeux qu’une étoile de pluie,
Pauvre ami peu conscient de l’amour qu’on lui doit.
Tu craignais qu’à ta mort tes amis ne s’ennuient
Et c’est pour m’amuser qu’un jour tu devins roi.

J’aimais tous tes trésors mais j’aimais mieux tes songes.
Ta sœur aussi m’aimait, d’un amour plus léger,
Mais elle avait rêvé d’un beau pêcheur d’éponges.
Les belles de ce temps n’aimaient pas les bergers.

Je me souviens encor du jour de ton mariage.
Les amis s’amusaient, mais le roi s’ennuyait.
-  Ô château lumineux ! la fête à chaque étage...
Les enfants dans la chambre, et la bûche au foyer.

Il y avait aussi des fleurs dans les allées.
Ô noce sans pareille, aimable, d’un roi fier.
- Pauvre roi, bel ami, ta vieillesse exilée
Peut-être a pardonné les bêtises d’hier.

Mon roi, tu fus enfant, un enfant qui s’amuse
A déplier avec ses doigts des diamants
Pour faire des bateaux de papier, ou qui ruse
En jouant, sans parler, avec des chats déments.

III
Le mur de mon enfance, au soleil mordoré,
Séparait la forêt d’une ville funèbre.
J'habitais un château, mais j’aimais la forêt
Et j’aimais les lézards que l’ombre des foins zèbre.

Un jour, je m’en souviens, j’ai vu les liserons
Franchir le mur de pierre et ramper vers la ville :
La ville familiale et son petit lac rond
Où l’on avait planté des quenouilles débiles.

Puis mes parents sont morts. Il reste le valet,
La servante et le chien. Toutes mes tantes pleurent
Car le château n’est plus la ville qu’on voulait
Voir envahir la plaine où mes fontaines meurent.

Mais le matin m’a mis plein les yeux de bonheur
Aussitôt que j’ai vu briller par la fenêtre
Les cailloux argentés sur le sentier aux fleurs,
Car désormais ici je serai le seul maître.

Le mur s’écroulera. A vous, mes liserons !
Vous saurez transformer en forêts ces parterres.
— Ils viendront, mes amis, demain, et nous pourrons
Briser tous les carreaux du château de mon père.


LES CHEVAUX DE LA SABLIÈRE
J’aimais les voir dormir, au soleil, à midi.
Je les regardais boire au bord de la rivière
Quand à la fin du jour nous allions, étourdis,
Voir briller dans les champs leurs ardentes crinières.

Parfois quand le matin faisait étinceler
Entre chaque sillon ses serpents de lumière
Nous allions épier les chevaux attelés.
Mais ils étaient plus beaux au fond de nos clairières

Lorsque, luisants de sel, ils grattaient leur cou blond
Contre les peupliers, lorsque près des cascades
Ils suivaient d’un œil doux les lapins dans leurs bonds
Et remplissaient d’air pur leur poitrine malade.

Et nous allions, le soir, dans nos lits, deux à deux,
Raconter en silence à nos amis lunaires
Combien nous les aimions ces centaures peureux
Qui courent, enflammés, sur les dunes légères.


JUILLET
Les souches, les cailloux moussus, les champignons !
Autant d’objets qu’à deux nous avions mis en rêves,
Au bord de la clairière où les troncs pleins de sève
Nourrissaient sans un bruit les fruits que nous volions.

Tant qu’on verra briller le gel dans le sillon,
Tant qu’autour du fanal à la lueur trop brève
On verra s’émouvoir, tel des bulles qui crèvent,
L’éblouissement sourd de mille papillons,

Les enfants trop heureux s’en iront sur les grèves
Regretter les étés avant qu’ils ne s’achèvent...
Mais ce soir, sur la route où, parmi le goudron,

Le soleil a semé, comme des champignons,
Les bulles de chaleur que nos semelles crèvent,
Nous sourirons ensemble à tous les mauvais rêves


LES ÉTUDIANTS
Sur le bord des grands parcs, à l’ombre des murailles,
Tête nue et vêtus d’un paletot râpé,
Chaque lundi matin, à huit heures, il bâillent
En pensant au sommeil qu’il faudra rattraper.

Soûls de café sucré, ils rotent. Leurs sourires
Ont gardé du sommeil quelque chose de niais
Et dans l’œil de Marie, en secret, ils croient lire
Un écho à l’aveu longuement oublié,

Parce que, le printemps, le long de l’avenue,
Les érables sont verts et le pavé propret
Et qu’ils croient, pour séduire une belle inconnue,
Qu’il suffit d’un regard sur un mollet doré.

Bientôt ils dormiront, jambes sous le pupitre,
Conquérants du bonheur aux soupirs enfiévrés,
Pendant que le soleil dispersé par la vitre
Peindra sur le mur blanc des prismes diaprés.

Ils oublieront en chœur d’anciennes fiancées,
Car ils aiment marcher, ni tristes ni joyeux,
A pas lents, pour bercer d’indolentes pensées

Et sentir le vent frais lécher leurs fronts huileux,
Tandis que le chemin de pierre concassée
Grince sous les talons de leurs souliers trop vieux.


HIVER
Les enfants du voisin dans leur château de neige
Se cachent des passants pour mieux les détester
Et l’ombre du curé sur la façade grise
S’arrête au coin du mur pour mieux les écouter.

Le concierge s’en va de fournaise en fournaise
Brasser le feu qui dort sous les cendres d’hier.
Mais les yeux des enfants brillent comme des braises
Au fond de leur château où n’entre pas l’hiver.

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