17 avril 2015

Larmes

Raymond Savard, Larmes, Montréal, Éditions Nocturne, 1955, 117 pages. (Présentations en prose et maquette de couverture de Claude Marceau)

Raymond Savard et Claude Marceau ont fondé les éditions Nocturne qui ont duré une dizaine d’années. Si je comprends bien, les auteurs qui publiaient sous leur bannière s’autoéditaient. 

Dommage qu’on n’ait pas d'expression pour la poésie naïve, comme c’est le cas pour la peinture. Bien entendu, il faudrait manier cette catégorie avec soin, car elle ne saurait excuser toutes les maladresses, les naïvetés. Raymond Savard fait de la poésie naïve, c’est-à-dire sans recherches verbales, pleine de bons sentiments, sur des thèmes éculés qu’il n’essaie pas de renouveler. Je ne m’acharnerai pas (ce serait mal venu, avec un retard de 60 ans) sur Larmes, ni sur l’auteur dont c’était le troisième recueil. Je suppose qu’il a dû trouver ses lecteurs. Des éditions Nocturne, je connaissais les vers de Carrier, qui me plaisent assez.

On a droit à deux épigraphes : la première, empruntée à Henry Miller, est pour les lecteurs: « Le monde est en larmes pour l’éternité. Le monde est baigné de larmes. Être joyeux, c’est être un fou en liberté dans un monde de tristesse et de fantômes… » La seconde, empruntée à La Bruyère, s’adresse aux critiques : « Le plaisir de la critique nous ôte celui d’être vraiment touchés de très belles choses ».

Le recueil s’ouvre sur le poème « Madame Justice » : « Certains critiques aveuglés / Par les phares de l’irréalité / Condamneront mes vers, et bouclés  /  Seront les succès convoités!».  Et c’est suivi d’un commentaire de Claude Marceau, dont voici la première phrase : « La Providence nous comble de dons multiples et pourtant quels sont ceux qui lui disent merci? » Bon, je n’irai pas contredire la Providence et encore moins provoquer Madame Justice. 

Savard aborde les sujets suivants : la justice, l’amour, l’hypocrisie, l’amour adolescent, l’amour qui torture, l’amour fou (« Femme, qui tous les soirs / Ne cessait de vagabonder / Dans mon cœur inondé / D’un unique et fol espoir! »), l’amour défendu (prostitution, péché de jeunesse), le souvenir amoureux, la souffrance amoureuse, le dépit amoureux, la beauté de la nature, le tempérament d’artiste, la perte des valeurs des jeunes et des artistes, etc.

Marceau propose de courtes réflexions sur l’injustice, les délices de l’amour perdu, la solitude (« Même les traîtres appas de la femme ne l’affectent plus. Le véritable bonheur… il le tient… puisqu’il est seul. »), l’importance des objets pour fixer les souvenirs, la fugacité du bonheur, l’amour en dehors du mariage, les illusions de l’amour, le mépris de l’amoureux abandonné.

Savard et Marceau entretiennent une forme de dialogue. Aux poèmes de Savard répondent quelques textes de Marceau. Savard se présente comme un grand amoureux déçu et Marceau comme le « sage » au-dessus de la mêlée.

Comme je l’ai dit au début, la poésie naïve ne fait de mal à personne, sauf quand elle dérape, ce qui arrive parfois dans ce recueil. Dans « Péchés d’automne », Savard raconte les amours d’un jeune couple et d’une fille qui se retrouve enceinte : « Il lui faudrait toujours pleurer / Verser des larmes, encore des larmes / N’ayant plus à perdre de charme / Puisqu’à l’automne, elle a péché! » Marceau, lui, a beaucoup moins de retenue : « Hypocrites, menteurs, jaloux, traîtres, voilà ce qu’on découvrira en toute franchise si on a l’audace de s’arrêter un instant et d’observer les êtres qui nous entourent. La femme n’est plus elle-même, elle refuse son appui à son époux, elle abandonne ses devoirs féminins pour s’introduire dans les couloirs réservés aux hommes, elle tente d’arracher au mâle son titre de conquérant et de chef, elle veut le dominer en cultivant chez elle ses qualités et ses défauts. L’adolescent, la fillette provoque effrontément l’adulte qui se voit contraint à devenir son égal. Ce ne sont là, hélas, que de tristes... constatations ! »

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