4 décembre 2015

Le voyage d'Arlequin

Éloi de Grandmont, Le voyage d'Arlequin, Montréal, Les Cahiers de la file indienne, 1946, 37 pages (illustré de 5 encres à pleine page d’Alfred Pellan).

En 1946, les maisons d’édition consacrées à la poésie n’existent pas. Pour publier, il faut faire appel à un éditeur généraliste et, le plus souvent, assumer les frais d’édition et de distribution du recueil. C’est dans ce contexte qu’Éloi de Grandmont et Gilles Hénault fondent « Les cahiers de la file indienne ». Comme les deux ont fréquenté Pellan et les automatistes, ils adhèrent, du moins par l’esprit, à l’esthétique surréaliste.

La maison d’édition va publier cinq recueils de poésie et une pièce de théâtre : Le voyage d’Arlequin (1946) d’Éloi de Grandmont, Théâtre en plein air  (1946) de Gilles Hénault, Les sables du rêve (1946) de Thérèse Renaud, Les équilibres illusoires (1948) de Pierre Yve Le Baron, L’Ogre (1948) de Jacques Ferron et  Modo pouliotico de d’André Pouliot (1957). Seulement les trois premiers feront l’objet d’une collaboration entre écrivain et artiste (dans l’ordre : Pellan, Daudelin et Mousseau). Le Baron illustrera lui-même son recueil tandis que la pièce de Ferron et le recueil de Pouliot ne seront pas illustrés.

Le Voyage d'Arlequin fait partie des Livres québécois remarquables du XXe siècle selon Claude Corbo. Il est vrai que les dessins de Pellan, en lien avec le contenu du livre, sont parmi les plus beaux de l’édition littéraire au Québec. C’est peut-être un peu moins vrai pour ce qui est du contenu poétique du recueil. Même si on sent le passage du surréalisme à l’occasion, on constate surtout que la plupart des poèmes sont composés de quatrains, parfois rimés, parfois constitués de vers d’égale longueur (isométriques), toujours avec une majuscule au début.

En choisissant la figure d’Arlequin, le poète inscrit son recueil sous le signe de la légèreté et de la fantaisie. La libération ne passe pas dans ce recueil par un rejet rageur d’une morale sclérosée comme on le verra chez quelques poètes des années 50, mais plutôt par la recherche d’un bonheur simple, affranchi de toutes contraintes : « Ah! N’avoir jamais de répit et / Et toujours essouffler la joie ». Ou encore plus parlant : « Mes mains sont si pleines de roses / Que j’improvise le bonheur ».  Ce qui ne veut pas dire que le poète ne déplore pas une certaine vie rapetissée : « Et, souvent sur les portes ouvertes / Nous marchons, battus, dans nos dos ronds ». Comme on le lit dans le dernier extrait, plutôt qu’une situation clérico-sociale, c’est un état d’esprit qui empêche l’individu de s’affranchir, de mordre dans le bonheur : « La danse, plus jamais, n’achève / Son geste à peine commencé. / Et j’écoute les pas du rêve / Marchant sur un thème passé. »

Le recueil s’assombrit peut-être légèrement dans les derniers poèmes. Il évoque la guerre (« Ciel vidé d’ombre et encombré / De nouveaux astres aux clameurs / De fer-blanc »), la solitude (« Plus personne à sa voix / Ne retrouve son corps ») et une certaine fragilité du bonheur : « Maison sans portes ni fenêtres, / Maison du vent et des passants. »

Un procédé que De Grammont explore à fond consiste à adjoindre un verbe « animé » à un objet inanimé, par exemple dans le poème II : « La fenêtre a baissé les yeux »; « Le dessin découvre la feuille » ; « Le paysage ne dort pas ». Mais ce processus de métaphorisation n’est pas, ici,  assez audacieux pour qu’on puisse vraiment se sentir dans un recueil surréaliste.

Sur Éloi de Grandmont : Marie-Christine Lalande, Nuit blanche, magazine littéraire, n° 90, 2003, p. 38-41
Sur Le Voyage d’Arlequin : Livres québécois remarquables du XXe siècle

D'autres illustrations de Pellan : Les Iles de la nuit d’Alain Grandbois



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