29 septembre 2017

Couleur du temps

Michelle LeNormand, Couleur du temps, Édition du Devoir, Montréal, 1919, 142 pages.

Couleur du temps est constitué de 46 courts textes de 2 à 4 pages, dans la même veine que ceux d’Autour de la maison, publié trois ans plus tôt. L’auteure a vieilli et ce n’est plus le regard enfantin mais celui d’une jeune adulte qui s’exprime. Plusieurs de ces textes ont d’abord paru dans Le Nouvelliste et Le Devoir. D’ailleurs, souvent, dans ses « billets », LeNormand interpelle son public.  

La plupart ne sont pas des récits, mais plutôt des instantanés, des portraits, de courtes réflexions, des descriptions allégoriques. Elle revisite son passé (Feuille sèche, En relisant votre journal, La poupée, En ressassant le passé, La mort d’une robe…), observe son entourage (La commère, La petite fille au turban, Le «docteur», La mauvaise tricoteuse…), s’inquiète quand même un peu du futur (Sa clairvoyante, Morale prosaïque, Anxiété) et s’analyse (L’imagination, En vacances, L’attente déçue, Qui me donnera, Girouette…)

On découvre une jeune femme entière mais qui doit continuellement se contenir à cause de la pression sociale qui pèse sur les jeunes filles, comme en témoigne ce texte non sans humour : « La jeune fille bien est cultivée et doit s’y entendre un peu en littérature ; elle lit les auteurs à la mode, auteurs sérieux ou légers, qu’importe, pourvu qu’ils soient des auteurs dont les noms se prononcent dans les salons bien, et dont on discute souvent les œuvres : et cette jeune fille demi-mesure doit être à demi en mesure de donner son mot, son appréciation. Il est nécessaire d’être au courant, même si le livre n’a pas été écrit pour les enfants de son âge ; car la jeune fille bien n’est pas une oie blanche ; il convient qu’elle ait certaines connaissances, qu’elle soit renseignée ; et puisqu’il ne faut pas qu’elle ait trop de religion, il serait niais qu’elle eût trop d’innocence, qu’elle eût un cœur frais, facile à scandaliser, ou plutôt à blesser. Elle est d’une nature délicate cependant, et elle parlera volontiers de son idéalisme. Tout cela se voit d’ailleurs à sa façon un peu précieuse de parler, à ses manières, aux gestes de ses doigts pâles ; cela se voit à sa toilette. Mais elle manque de grâce ; si ses robes sont exactement suivant les derniers modèles, elle les porte avec une certaine maladresse ; elle est tirée à quatre épingles, guindée. Elle ne se froisserait pas pour une terre, c’est évident.» (Une jeune fille bien)

À l’occasion, elle jette un regard bienveillant sur les vieilles gens, les vieilles maisons, sur la campagne, ce qui la rapproche des tenants du terroir. « Que le neuf dans cette campagne fasse défaut, elle s’en moque et n’y perd rien. Ses vieilles maisons ne sont-elles pas toutes habillées fraîchement, embellies de blanc, ou de galeries à colonnes qui les parent, sans jurer avec leur ancienneté ? Ce sont des vieilles bien élevées, aux physionomies accueillantes. Ce sont des vieilles qui ont grand air ! » (Chez vous, chez nous)

Le passage du temps me semble le motif le plus présent dans le recueil, que ce soit en observant une tante, ses grands-parents ou ses amies : « C’est ainsi toujours : on ne peut pas garder autour de soi et cultiver toutes les fleurs d’amitié qui s’ouvrent et s’épanouissent sur la grand’route de la vie. À mesure que l’on marche, on abandonne les bouquets déjà respirés pour se pencher vers des fleurs plus fraîches, vers des yeux nouveaux. »

Il y a une moraliste (Paroles vives, Mauvais silences) chez LeNormand. Et une idéaliste. Le temps a le pouvoir de conjurer tous les malheurs. Sa recherche de la justice, de la beauté est largement inspirée de la morale religieuse de l’époque : « Ne sommes-nous pas tous des enfants qu’une main divine dirige, à travers tous les événements, et soutient quand il le faut? » (Saint-Antoine)

Ajoutez quelques touches humoristiques (Psychologie dentaire) et un certain goût de la crânerie et vous avez un portrait, probablement assez juste, de la jeune bourgeoise des années 20.



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