7 septembre 2017

Quand chantait la cigale

Albert Laberge, Quand chantait la cigale, Montréal, Édition Privée, 1936, 112 pages. (Illustrations de Charles de Belle)

Les 48 textes qui composent Quand chantait la cigale, assez courts tout compte fait, ont été écrits entre 1918 et 1923; d’ailleurs dans un texte, l’auteur raconte qu’il est en train de réviser les épreuves de La Scouine (publié en 1918). Treize ans se sont donc écoulés entre l’écriture du dernier texte et la publication du livre.

Quand chantait la cigale fait partie de la littérature intime. Laberge raconte ses étés passés à Châteauguay. Comme c’était souvent le cas, les familles qui en avaient les moyens  quittaient la ville, s’installaient à la campagne pendant que le mari faisait la navette toutes les fins de semaine. Les Laberge habitent une partie de la demeure ancestrale qu’ils louent à l’oncle Moïse et à la tante Eulalie.

Même si les événements relatés s’inscrivent dans une suite chronologique, le recueil n’est pas conçu comme un récit continu, mais comme une suite de vignettes, de différents genres, sur les petits événements qui animent un tant soit peu cette vie sans histoire : anecdotes, impressions, saynètes, fables, poèmes en prose se succèdent au gré de l’inspiration de Laberge. Le récit s’ouvre par l’arrivée à Chateauguay et se conclut par le départ pour Montréal, mais Laberge avoue qu’il a condensé quelques-uns de ses étés : « Et la petite maison blanche qui nous accueille depuis trois étés et où nous avons vécu des jours de si parfaite félicité m’apparaît à cette heure comme le visible symbole des bonheurs humains. » (In pulverem reverteris)

L’auteur lui-même, ses pensées, sa philosophie sont au cœur du livre, même s’il raconte aussi certaines anecdotes concernant la vie de ses proches. On entre dans la vie d’Albert Laberge, on découvre un homme aimant profondément sa famille (sa femme qu’il surnomme Dearest, Cécile sa fille de 18 ans et ses deux fils) et la nature, mais aussi un être peu sociable, critique de toute organisation sociale qu’elle soit religieuse ou civique (Vanitas vanitatum).

Tous ceux qui ont lu La Scouine le savent, Laberge n’est pas un marchand de bonheur. Ce pessimisme colore (ou décolore) la plupart des textes de son recueil. Le premier du recueil intitulé « La maison ancestrale » donne assez vite le ton. Laberge commence par vanter la beauté du lieu et de la nature environnante : « Mais, jamais, je n’ai vu les pommiers aussi fleuris. Les branches sont couvertes de fleurs roses et blanches, d’un parfum délicat, délicieusement grisant. Au milieu des vergers, les maisons forment des retraites enchanteresses. Et le long de la route, les lilas embaument malgré l’ondée qui les trempe. Puis, il y a la bonne odeur des feuilles de jeunes peupliers, cette bonne odeur sirupeuse et légèrement épicée, qui me ramène aux jours où j’étais enfant. » Au lieu de poursuivre sur cette lancée, le récit oblique vers la mort de sa grand-mère et une visite au cimetière : «  Je songe aux décompositions dans le petit cimetière à côté de la vieille église. Je pense à la vieille grand’mère que l’on a emportée un clair et tiède matin d’automne, il y a longtemps, et que l’on a déposée dans le calme enclos où reposaient déjà le compagnon de sa vie et plusieurs de ses filles parties avant elle. » (La maison ancestrale)

Même quand il vit des moments heureux, avec sa famille, il ne peut s’empêcher de penser que tout ceci est éphémère, voué à la dégénérescence et à la mort. « Il sait que ces figures jeunes et blondes vieilliront, se flétriront et mourront. Il sait que son heure à lui approche. À travers la nuit, le brouillard, l’étendue, il sait que la faucheuse inéluctable s’en vient. Il croit la voir accourir du fond de l’espace. Il se demande s’il n’entend pas son pas dans le lointain, s’il ne la verra pas surgir. Il a peur de sentir son souffle le frôler. Il est tenté de porter les mains en avant pour la repousser, pour l’éloigner. Il voudrait crier, hurler, mais il sait la vanité de la lutte et, de désespoir, il marche dans la nuit… » Son fils lance un galet dans l’eau… et voilà une réflexion sur le tragique du destin humain : « En voyant la pierre s’enfoncer, je songeais que je ne la reverrais jamais plus, et à cette heure, elle était l’image de cette quotidienne disparition des êtres et des choses que nous aimons qui, malgré nos désespoirs, s’en vont à tout jamais. » (Vers le gouffre éternel)

Le tragique emprunte aussi un chemin qui n’a rien de philosophique. La cigale du titre, c’est Cécile, sa fille lumineuse, une boule d’énergie et de bonheur, décédée, apprend-on dans la postface du recueil (je le rappelle, il y a 13 ans entre l’écriture et la publication du recueil). Il lui avait consacré l’un des premiers textes, texte qui se terminait ainsi : « Elle ne veut penser à rien autre chose. / Si elle voyait venir la mort, crânement elle lui crierait : — Allo, toué ! / Si elle le pouvait, elle danserait à son propre enterrement. / Elle est la cigale qui chante. » (La cigale chante) Texte prémonitoire?

Laberge, compatissant au sort des pauvres et des déclassés (La carpe, La montre perdue, Le nouveau cimetière), n’éprouve aucune pitié pour les gens -- comme sa vieille tante qui a immolé son fils unique sur l’autel de la religion -- qui ont été artisans de leur malheur (La vieillesse solitaire).

Ce qui ressort beaucoup de l’ensemble, c’est l’anxiété de Laberge face à la vieillesse et la mort. La vie dans toute sa plénitude est inséparable de la mort. Même la nature, sa beauté, sa capacité de renouvellement, ne cesse de lui rappeler le triste destin des hommes, voués à la déchéance : « Et tout à coup, je vois une feuille, une feuille jaunie, se détacher  du rameau qui la porte. Je la vois osciller, voltiger dans l’air, portée par le vent, puis venir choir dans l’herbe, tout près de moi. Une feuille morte. La première de l’année. / La feuille qui tout à l’heure encore, se balançait légère parmi ses compagnes, gît maintenant sur le sol. / Je reste là atterré, comme devant une catastrophe. » (Le petit acacia)

Malgré le climat délétère qui émane de ses livres, je le redis, Laberge est un auteur qui mérite d’être lu. C’est un écrivain complexe qui a une vision du monde. Et, mieux encore, il a été notre meilleur nouvelliste avant Gabrielle Roy.

Albert Laberge sur Laurentiana

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